jeudi 10 mars 2011

Apanage

Je me promène trop contente avec mon nouveau jean. C'est un Levi's: taille 26, demi curve, straight legs, classic waist, délavé léger —tout ça; le seul détail pour lequel ils n'avaient pas de choix c'était la longueur de jambes, il a fallu faire un ourlet. Il me va si bien que j'ai l'intention d'y retourner bientôt en prendre un ou deux pareils mais d'une autre couleur. Et dans quelques années, quand ils seront usés, j'espère bien pouvoir entrer dans n'importe quelle boutique Levi's du globe et retrouver la même coupe, —ma coupe.

C'est sympa les marques qui font des collections qui changent à chaque saison. Mais on est un certain nombre d'hurluberlus à aimer surtout celles qui nous donnent l'assurance d'un choix exhaustif et permanent.

(P.S. Levi's malheureusement n'est pas pareil partout. Quelle déception j'ai eue, à Santiago du Chili, de découvrir qu'ils n'offraient que les skinny taille basse de la saison! Intéressante perspective, cela dit, que la possibilité de choisir soit l'apanage du développement...)

mercredi 9 mars 2011

The Cool Remainer

Chaque fois que je reçois le bulletin de la célèbre revue de design The Cool Hunter, il m'arrive la même chose: je reste ébahie par 1) la laideur, 2) l'uniformité, 3) l'inanité des trucs annoncés. C'est pas forcément tous à la fois; il y en a, c'est pas trop laid et pas trop inutile, mais on se demande bien ce que ça avait de spécial pour être sélectionné; mais il y en a d'autres où vraiment, je cherche ce qu'il peut y avoir à sauver.

Au menu ce mois-ci, il y a cette chapelle, à Acapulco, signée par Esteban et Sebastián Suárez:


La forme d'œuf carré, les murs qui partent dans tous les sens et le béton nu, je les mettrais à la fois dans laideur et uniformité. Vous discuterez peut-être le premier, je sais, tous les goûts sont dans la nature (revenez quand même me voir dans dix ans, quand en plus ce sera tout cra-cra).

Par contre, si vous arrivez à me dire que le béton nu et les formes obliques et asymétriques c'est original, vous m'excuserez, et vous irez regarder les magnifiques nouveaux bâtiments publics autour de votre ville et du reste du monde. Ce sont, un par un, les ingrédients par défaut de toute l'architecture spectacle contemporaine. Quelle monotonie!

Le commentateur du Cool Hunter, lui, il trouve des mots comme "éternel", "magique" et "mystérieux" en parlant de ce spoutnik. Je ne sais pas si c'était un stagiaire trop content d'écrire, ou un journaliste tellement chevronné qu'il n'ouvre même plus son cerveau.

Dans le même numéro, j'en décroche un autre qui réunit les trois qualités laideur, uniformité, inanité. Ça se trouve dans la section Arts, et ce sont des sculptures faites avec des objets en plastique recyclés, par un monsieur Robert Bradford.



C'est un ange plutôt criard et grossier, mais bon, comme je disais, tous les goûts sont dans la nature, et je ne doute pas que les siècles feront justice à sa qualité artistique. En tout cas, l'utilisation de demi pinces à linge pour tapisser les jambes est une des clés de la réussite. Essayez de l'imaginer sans, tout de suite ça perd son principal attrait. Et c'est quoi, cet attrait? C'est que c'est du recyclé.

C'est là qu'il aurait dû mettre "magique", le journaliste, parce que c'est vraiment un mot qui a des pouvoirs surnaturels. Vous prenez n'importe quel bidule cassé, et au lieu de le réparer, le refondre ou le laisser se décomposer, vous l'assemblez avec d'autres en un nouvel objet —j'ai vu des œuvres d'art mais aussi des fauteuils, des poufs... Peu importe que ce soit maladroit, bouffi, fragile, grattant, etc.: c'est recyclé.

Ben moi, je me suis fait un pied de lampe avec le moteur de ma machine à laver. D'abord il était très beau, en laiton, avec une belle boule brillante, ça donnait vraiment envie de le garder sous les yeux. Et ensuite, il a un côté "cool" parce que c'est une débrouillardise improvisée. Si je le glorifiais et que je le commercialisais à grande échelle, ça deviendrait absolument plouc.

Autres trucs intéressants en design, ce mois-ci, selon les chasseurs de cool:

— Des gens qui ont fait voler une maison avec des ballons d'hélium, comme dans Up!. Photo mignonne, avancée scientifique risible, beaucoup de thune pour rien. Inanité.

— Une déco pour une crèche à Tel Aviv, une autre pour un restaurant à Oslo: peut-être sympathiques quand vous y êtes, mais franchement bateau pour mériter le voyage. Uniformité.

— Et une boutique d'objets artistoïdes —gravures, t-shirts, voitures pour enfant détournées. Le genre de boutique qu'on utilise pour faire un cadeau rigolo quand on n'a pas d'inspiration mais où on n'achèterait jamais pour soi. Uniformité, inanité.

Les gens de cette revue possèdent une grille de caractères qui définissent le cool. C'est un style, et ils vous dégotent simplement tout ce qui correspond à ce style. Après tout, libre à eux, n'est-ce pas? Au fond, ce qui dérange les gens comme moi, c'est que ce style soit assimilé au design en général.

Toutes les fourchettes ont été conçues par un designer, mais pour être estampillées design, il faut qu'on leur ait donné une forme un peu asymétrique ou aérodynamique, souvent au détriment de la fonction. Vous trouvez des gens qui vous disent qu'ils ne veulent pas un canapé "design", qu'ils en veulent un "normal" ou encore "rustique". On a du mal à croire qu'une personne qui s'intitule "designer" ne donne pas dans ce style précis, surtout en français, où le mot a vraiment une association très forte entre la profession et le style.

Alors ce n'est peut-être pas plus mal qu'on ait proposé en français que les gens qui conçoivent des produits, de quelque style qu'ils soient, s'appellent plutôt concepteurs. Ça permettra peut-être aux jeunes gens de la profession de se libérer un peu de l'emprise de ce cool complètement éculé.