jeudi 27 octobre 2011

Complément aux minimalistes


Je viens de lire l’Art de la simplicité, le fameux livre de Dominique Loreau sur les vertus du minimalisme: vivre avec peu de choses, dans le raffinement du dépouillement, se défaire de tout ce qui n’est pas essentiel dans sa vie, à commencer par les objets qui encombrent sa maison.

Au même moment, TED sort un discours prononcé par le designer Graham Hill, fondateur du site écologiste Tree Hugger, sur le même thème. Nous vivons avec des tonnes de choses, constate-t-il, or vivre avec moins rendrait notre vie plus sereine, sans compter l’allègement sur l’environnement et notre porte-monnaie.
Puisque le sujet semble intéresser tant de monde, laissez-moi apporter ma contribution de personne obsédée par la simplicité depuis l’âge de raison.
Et mon avertissement, c’est que ce n’est pas facile. Moi qui avais vécu un an sur un modeste sac à dos et qui avais prévu d’élever mes enfants à la hippie, je me retrouvai à vingt-huit ans, à la veille de partir pour le Chili, à la tête d'une quinzaine de mètres cube dont il fallait faire quelque chose.
C’est là que je reçus le plus mauvais conseil qu’on m’ait jamais donné: “Vendez tout, me dit une relation qui travaillait dans le transport international. Ça vous coûtera moins cher de tout racheter là-bas.” C’était de la musique pour mes oreilles: recommencer à zéro! ne racheter que l’essentiel, des assortiments parfaitement calculés pour les besoins de ma famille, peu de choses mais idéales, et ne plus traîner tous ces trucs qui ne me servaient qu’à moitié, qu’on m’avait refilés, que je m’étais trompée en achetant, etc...
Commença alors un processus d’élimination qui se révéla extrêmement éprouvant. Des annonces passées, mes biens les meilleurs passèrent aux mains d’étrangers. Et l’argent qu’ils me laissaient en échange semblait tout d’un coup insignifiant. Le reste, il fallait le donner, j’avais l’impression de courir après les gens pour qu’ils acceptent mes affaires. Ce qui tant bien que mal m’avait servi et touché ma famille, n’était à leurs yeux que détritus. Même les gens sympathiques commençaient à m’être désagréables. Mon intimité était écorchée; à travers mes possessions, c’était ma vie qui était bradée et mise au rebut.
Le comble, c’est qu’un certain nombre de choses devaient malgré tout voyager avec nous.  Pour mon mari, il était hors de question de se séparer de sa bibliothèque, impressionnante collection de livres de plusieurs pays émaillés de nombreuses dédicaces. Ni, et c’était moins réjouissant, de ces innombrables boîtes poussiéreuses remplies de nos archives. 
Une fois au Chili, bien sûr, la prémisse se révéla fausse: racheter les choses coûtait très cher, et faute de temps, d’argent, et de connaissance des bonnes adresses, je me retrouvai entourée de trucs plus laids et inutiles qu’avant. C'était un énorme gâchis.
Ma première leçon serait donc: si vous voulez éliminer, allez-y doucement. La meilleure façon de vivre simplement est encore de filtrer ce qui entre chez vous. N’achetez que des choses qui vous plaisent énormément. Faites-vous prêter ou louer le reste. Et si vous devez acheter, prenez du basique et solide, qui fera facilement des heureux quand vous n’en voudrez plus.

Maintenant, quelles leçons tirer du point de vue du designer? Que peuvent offrir les entreprises à ces nouveaux adeptes de la vie épurée?
Graham Hill est allé à l’extrême de cette recherche en lançant en 2010 le concours LifeEdited. Il s’agissait de concevoir la rénovation de son studio, pour en faire un endroit record d’efficience au mètre carré. Les résultats sont assez époustouflants: les candidats ont réussi à lui proposer des solutions pour faire dîner douze personnes, en loger quatre, avoir son bureau, son home cinema, son vélo, et même un sauna, dans 38 m2 au style totalement épuré. Le lit se transforme, le bureau se déplie, le mur se déplace: aucun centimètre de cet appartement n’est laissé au hasard.
Mais si la prouesse est impressionnante, je ne crois pas qu’il faille chercher une solution commune dans le transformable, car c’est extrêmement cher, et en fin de compte peu versatile. Si dans quelques années ce monsieur veut déménager, cette installation tout intégrée pourra-t-elle facilement être recyclée pour l’usage d’une autre personne?
C’est le trait opposé que je développerais plutôt: le basique que chacun peut faire sien. Des objets qui remplissent une fonction la plus étendue possible, non pas par leur complexité, mais par leur simplicité. Flexibles autant que possible, mais s’arrêter quand ça se retourne en de nouvelles limitations. Il vaut mieux offrir une grande variété de choses simples, que chaque personne combine et recombine selon ses besoins. Les objets traditionnels sont souvent des modèles de cet équilibre, et il faut bien vérifier avant de clamer qu'on a inventé mieux.
Le deuxième trait que je développerais, c’est bien sûr la qualité. Un objet qui sert et ne perd pas sa valeur, c’est un objet de bonne qualité: matière, facture, réparabilité aussi. Fabriquez votre produit à l’endroit où vous le vendez, et offrez aux clients un bon service après vente. C’est cher, me direz-vous. Mais vous vous trouvez face à une clientèle qui veut acheter moins mais mieux, et qui s’implique dans ce qu’elle achète. Or il faut un œil exercé pour reconnaître un objet de qualité d’un objet cher par pur positionnement de marque, j’en ai fait les frais bien souvent. Alors communiquez, expliquez quels avantages on trouvera à payer le prix de votre produit. 
Troisième trait, pendant du précédent, c’est la beauté. Vivre sobrement, ne pas courir toujours après une nouvelle chose, c’est vivre avec de belles choses qu’on aime et qu’on n’a pas envie de remplacer. Tous les styles sont possibles. Les minimalistes ont tendance à apprécier le blanc-gris-noir aux lignes épurées, comme Dominique Loreau, mais on en trouve aussi des comme moi qui aiment les meubles ouvragés et les émaux de couleurs.
Quatrième: l’immatériel. Depuis le numérique, on a magnifiquement réduit ces cartons de photos et ces piles de CDs aux sempiternelles boîtes cassées. On peut encore développer l’offre de programmes audio-visuels et de livres. Quand on voyage, on vénère moins le papier...
Cinquième: la location et toutes ces façons d’être usager plutôt que propriétaire qui fleurissent depuis quelques années. Quelle libération! Tellement moins de tracas, et plus de variété! J’ai adhéré au site d’autopartage Autocool, et mes fils adorent qu’on “ait” trois voitures différentes. Et à la ludothèque Interlude, pour avoir accès à plein de beaux jouets sans avoir à les acheter.
Un domaine en particulier où j’aurais aimé voir une offre de ce type, à l'époque, ce sont les vêtements et couches pour bébé. Il y a un certain nombre d’entreprises dans les pays francophones, à l’heure actuelle, qui en proposent à la location, ou location avec service de blanchisserie. J’ai remarqué pour son design soigné Le Dressing de bébé. Mais je n’ai pas vu ce qui emporterait mon cœur, si j’étais demandeuse en ce moment: un kit tout compris mois par mois, et un interlocuteur local. Ces entreprises sont de toute évidence petites, et la conjoncture n’est pas propice aux investissements. Je me demande si une constitution en association locale, à la manière des organisations citées plus haut, avec un effort de communication basé sur la proximité, ne pourrait pas être une clé du développement.
Et pour le matériel informatique, téléphonique et audiovisuel, pourquoi pas une location de longue durée? Maintenance et renouvellement facile pour l’usager, récupération de composants pour le fabriquant. Peut-être les même coûts mais avec beaucoup moins de tracas et de déchets...
Voilà les quelques pistes qui me viennent à l’idée, devant cette croissante aspiration minimaliste.

jeudi 20 octobre 2011

Warszawa la graphiste

Je reviens juste d'un voyage à Varsovie, où j'ai appris que les Polonais avaient une réputation de graphistes hors-pair, et constaté de mes propres yeux qu'elle était bien méritée.

D'abord il y a eu cette balade à Praga, quartier bohème dans le vent, moins abîmé que les autres pendant la guerre et du coup, pas reconstruit. On y trouve de nombreuses cours intérieures où des graffitis originaux fleurissent sur les murs criblés de balles.


Ou cette drôle de rencontre dans le parc marsz. E. Śmigłego-Rydza, où il est écrit —en français— "Idée d'un Élysée souterrain dévoué ou aux Amis ou aux jolies femmes":



Il y a aussi les affiches. Varsovie en a un musée entièrement dédié, le premier au monde, le Muzeum Plakatu au parc Wilanów. Si vous aimez l'art graphique, je vous le recommande, il est magnifique. La seule chose que je regrette, c'est qu'ils n'exposent qu'une petite partie à la fois de leur immense collection; je suis un peu restée sur ma faim.

 

 


On y trouve les versions polonaises d'affiches de films qu'on connaissait, elles sont vraiment d'un autre niveau.

 

Un artiste qui m'a tapé dans l'œil, c'est Waldemar Świerzy:



Dans la rue aussi les affiches sont belles, dans l'ensemble. C'est d'autant plus remarquable que les rues de Varsovie sont plutôt vilaines: en fait, moi qui ai vécu au Chili, je leur ai trouvé un petit air de famille avec Santiago dans leur côté "pourquoi faire mieux si ça va comme ça". Mais là où les pubs chiliennes tendent à une platitude touchante, les polonaises se montrent osées, énergiques et variées dans leurs recours artistiques:





Mais le graphisme polonais ne s'arrête pas là. J'ai retrouvé ce TED Talk de 2009 de Jacek Utko. Ce designer de journaux a réussi à rapporter à ses clients une augmentation de circulation spectaculaire. Sa technique: connaître tous les aspects du fonctionnement de l'entreprise et du produit, être présent de A à Z. Sa leçon: donnez du pouvoir aux designers.