jeudi 26 janvier 2012

Langage de l'uniforme

Il fut un temps où l'on croisait dans la rue les "pervenches". Par petits groupes à quatre épingles, un peu piaillants un peu ronflants, elles marchaient sur leurs petits talons, dans leurs petits tailleurs bleus, avec leurs petits chapeaux bleus, leurs petits sacs à main, et, entre leurs mains gantées de blanc, leurs redoutables petits carnets à distribuer les contraventions.


Aujourd'hui, voici l'allure des gens qui sanctionnent le mauvais stationnement: une sorte de treillis, avec rangers, casquette, et blouson, barrés de tous les côtés d'un gros sigle "ASVP".


Il ne me fait aucun doute que les personnes derrière ces uniformes sont foncièrement les mêmes. Pourtant, l'impression produite est radicalement différente.

Dans l'ensemble des Forces de l'Ordre françaises, depuis 2005, on a adopté ce genre de tenue. C'est Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, qui avait souhaité que la tenue, inchangée depuis vingt ans, soit modernisée. Conçue par Balenciaga Uniformes, "elle adopte dorénavant une ligne contemporaine et les matières actuelles qui la rendent plus fonctionnelle", selon ce communiqué du Ministère de l'Intérieur. Chaussures "commando", pantalon à poches "treillis", blouson, casquette souple... sur cette video présentée au journal de France2 en 2005, on détaille les aspects pratiques et confortables du nouvel uniforme, mais on ne dit pas un mot de ce qui saute aux yeux: l'inspiration militaire.

J'avoue ne pas très bien comprendre ce qui a motivé un tel choix. Dans les dernières versions, les coupes étaient passées de la vareuse raide au blouson plus décontracté, les signes distinctifs comme la bandoulière ou le képi avaient progressivement disparu (c'est une évolution qu'on voit très bien sur ce catalogue du site de l'Amicale Police & Patrimoine, dont je ne peux pas copier les photos). On devinait une intention de se rapprocher du public, être vu comme moins à part, plus comme tout un chacun. Quand on est chargé de maintenir l'ordre, on a toujours un petit problème d'image. L'uniforme est un moyen d'influencer la perception à travers le langage subliminal du vêtement. Essayons de détailler quelques uns de ces messages.

Des godillots, donc, des treillis et des coupe-vent. Autrement dit, des vêtements d'action et d'intempérie traditionnellement associés aux groupes de combat rapide et dangereux, les fameux commandos. Dans un pays en paix comme la France, on avait surtout l'occasion d'en voir sur les pompiers. Les pompiers, ils escaladent des façades, ils foncent sous les poutres en feu qui tombent, ils ne peuvent pas être en escarpins. En faisant porter ces vêtements aux policiers, a-t-on voulu suggérer que leur activité était devenue plus périlleuse? Est-ce un témoignage de l'intention que certains prêtent à Nicolas Sarkozy, de renforcer le sentiment d'insécurité des Français, pour mieux paraître y répondre? Si c'est le cas, je ne suis pas sûre du résultat. Voir des groupes qui ont l'air de soldats déambuler dans la ville me donne un peu des images d'occupation.

Photo: Rama, sur Wikimedia Commons

Quant au détail de la grande inscription en travers du dos, il me renvoie instinctivement au mot SECURITE inscrit sur le blouson des gardes privés. Idem pour la casquette. Était-il bien judicieux de donner aux gardiens de la paix une touche de videurs?

(Il faut que j'ouvre une parenthèse ici sur les ASVP, dont le sort me paraît particulièrement injuste. Primo: ils n'ont le droit d'arrêter que des voitures garées, mais on leur a quand même collé des vêtements de commando; franchement, ils doivent se sentir comme des enfants en costume de Superman. Deuzio: c'est donc déjà pas cool d'avoir une inscription dans le dos comme un poisson d'avril, mais fallait-il qu'en plus elle sonne comme une blague? Enfin, qu'est-ce que ça veut dire, ASVPAllumez s'il vous plaît? On n'utilise pas un sigle qui a déjà un sens pour tout le monde, enfin...)

Fermons la parenthèse. Il y a donc le langage du vêtement; mais la manière dont il est porté est comme le ton sur lequel on parle: il peut souligner, dévier, voire nier les paroles prononcées. Qu'en est-il de nos policiers en treillis? La panoplie commando renvoie à l'armée et aux missions dangereuses, de sorte qu'on tend à la compléter mentalement par une condition physique optimale, une certaine homogénéité anatomique et un comportement hautement discipliné. Or les policiers, ils sont recrutés dans une partie beaucoup plus large de la population: des gros, des petits, des maigres... Et ils ne sont pas entraînés à se tenir au garde-à-vous, ils se tiennent comme tout le monde, c'est à dire comme Agrippine. Rien de très mal à ça, enfin on en reparlera, sauf qu'ils sont en treillis. Et le relâchement en treillis, ça sonne une alarme: quelque chose n'est pas normal, le colonel est mort, les bidasses sont saouls; les tenues ont été usurpées par des caïds en mal d'intimidation. Ça fait gens qui ont les accessoires de la force mais qui ne sont pas sous contrôle; c'est encore moins rassurant que l'armée d'occupation.

La gestuelle a un tel poids dans l'impression qu'on produit, qu'une instruction en la matière accompagne beaucoup d'uniformes. Si c'est le cas de Forces de l'Ordre, non seulement elle est un peu laxiste sur la ligne du dos, mais elle omet un détail qui me paraît crucial: le regard.

J'ai été très frappée de croiser toutes sortes de représentants de l'Ordre, au regard fuyant. Quand vous voyez débarquer dans votre tram quatre fonctionnaires armés de pistolets et de mitraillettes, il y a une chose qui peut vous mettre à l'aise, c'est qu'ils vous adressent un regard franc. Mais à chaque fois que ça m'est arrivé, ils regardaient dans le vide, au sol ou entre eux; pas moyen de croiser leurs yeux. Or, ne pas soutenir un regard qu'on sait posé sur soi évoque deux sentiments possibles: quelqu'un qui se sent  méprisé et qui craint qu'on le prenne à partie, ou quelqu'un qui au contraire affiche son mépris des autres en affectant de les ignorer.

Quel que soit le sentiment réel de la personne, un entraînement sur la manière appropriée de diriger ses yeux est très utile pour l'image qu'elle va renvoyer, personnellement ou collectivement. Chez Starbucks,  les employés ont une série d'instructions précises pour traiter le client, et l'une d'elle est de capter son regard dans les dix secondes suivant son arrivée. Regarder dans les yeux établit un contact, et en plus l'oriente dans la direction désirée. C'est donc la première condition de la sympathie, chose qui intéresse la chaîne de cafés, mais aussi de toute autorité véritable.

Il y a une autre profession qui reçoit un entraînement systématique à regarder les gens dans les yeux, ce sont les hôtesses de l'air et stewards. Vous l'aurez remarqué, vous n'entrez jamais dans un avion sans qu'on vous accueille avec un bonjour personnel et poli. Or les hôtesses et stewards ont parmi leurs missions celle de maintenir l'ordre. À chaque vol, ils doivent obliger certains passagers à attacher leur ceinture, éteindre leur portable ou cesser de boire, et donner l'impression d'être capables de faire respecter les consignes de sécurité en cas de pépin. Les choses pourraient vite mal tourner, dans cet espace confiné, si les normes n'étaient pas respectées et que les gens se mettaient à agir à leur guise.

On leur demande également une prestance, ils se tiennent droits, la tête haute, les épaules basses. Jamais de mains dans les poches ni de démarche traînante. Cheveux courts ou attachés, aspect soigné. Et ils portent un uniforme qui est resté remarquablement similaire au fil du temps et au gré des compagnies: il est toujours urbain et élégant.


Pourquoi si peu de variété parmi tant de compagnies? Pourquoi pas des personnels navigants en jeans et t-shirts, plus proches des gens...? En robe à frou-frous, plus sexy...? En rangers et treillis, plus pratiques en cas de pirates de l'air...? Pourquoi ne pas vous tutoyer et vous appeler par votre prénom...? Vous offrir un petit show...? Ou s'épargner tant de manières et donner un coup de sifflet à celui dont le sac dépasse...?

Un costume urbain et élégant  —comme le tailleur et le costume cravate—, associé à des manières raffinées, évoque de manière atavique une personne de classe dirigeante. C'est la raison pour laquelle on demande cette tenue dans tous les métiers où l'on doit avoir l'air "respectable". C'est ancré dans nos neurones: des vêtements de qualité font riche, donc propriétaire; trop élégants pour l'activité physique (en apparence) font chef qui est au dessus du sale boulot; et stricts, ils disent "je ne suis pas là pour vous séduire", et suggèrent donc qu'on n'hésitera pas à se rendre antipathique s'il le faut.

La prestance et les bonnes manières confirment le vêtement. Vous avez déjà croisé un garçon à qui on a mis un costume pour vendre des assurances et qui met ses doigts dans son nez? —Effet annulé. Enfin, le regard assuré indique qu'on est sur son terrain. Toute cette tenue est donc le cocktail parfait pour dire: "Voici un bel avion d'une compagnie prestigieuse. Nous sommes les maîtres et nous vous donnons la bienvenue."

Par contraste, une personne au comportement vulgaire et en vêtements d'action va plutôt suggérer à nos neurones programmées: "Je suis l'homme de main du patron. Vous ne me respectez pas, mais vous êtes bien obligé de me craindre."

Incidemment, Balenciaga Uniformes conçoit les tenues de plusieurs compagnies aériennes. C'est très personnel, mais j'espère que dans quinze ans, quand il sera temps de renouveler celles de la Police, on leur demandera d'arrêter le look de garde-chiourme, et de réinventer les pervenches et les hirondelles.

jeudi 19 janvier 2012

Je suis amoureuse

La première fois que je l'ai vue, je m'en souviens comme si c'était hier. C'était un matin dans les embouteillages, à Santiago. J'étais au volant de ma Corsa, parmi les autres voitures toutes pareilles dans la grisaille immonde de l'avenue Vespucio. Et soudain, elle était devant moi. Avec son étrange couleur crème et son phare arrière tout rond et haut perché. Un galbe saisissant, une silhouette courte, rebondie, vive, parfaite. Je la suivis: il fallait que je sache au moins comment elle s'appelait...!

Alfa Romeo MiTo. Je n'aimais pas son nom, j'étais dépitée. Assise à mon ordinateur, une heure plus tard, devant un site de voitures où je n'avais jamais mis les pieds, je lisais le détail de ses spécifications. Une sportive. Un moteur puissant, un mode Dynamic pour faire de la vitesse. Moi mes tendances auraient dû m'incliner vers une Toyota Prius. Que dis-je: vers le TGV! Je n'aime pas les voitures! Je sais à peine conduire, je me suis installée en centre ville pour ne pas avoir de voiture. (Vous savez, les gens qui vous donnent des envies de meurtre, sur la route, parce qu'ils ne peuvent pas dépasser le 40? —c'était moi.) Bref, qu'est-ce que je faisais là, à perdre mon temps à m'intéresser à cet engin de course égocentrique et mal nommé?

La réponse était toute simple: elle était belle. Belle, belle, belle. Belle à désirer la revoir tous les jours. Belle à vous rendre heureux rien qu'à la regarder. Belle à en oublier toute raison. Je regardais les photos sur le site, et elles ne lui rendaient pas justice, elle était encore plus belle en vrai. Je la croise souvent maintenant que je vis en France, et l'émotion est toujours là...



Je sais ce que vous allez me dire: "Oui, elle n'est pas mal, mais moi je préfère...". Quand on parle de beauté, il y a deux choses différentes, en réalité.

Il y a une harmonie de forme, de couleur et d'autres caractères qui constitue une approche d'un canon esthétique relativement unanime. C'est l'une des fonctions de base d'un designer, celle que Raymond Loewy a baptisée l'esthétique industrielle, et qui lui a fait prendre des machines toutes disgracieuses pour les réarranger en une forme élégante et désirable.

Il y a une certaine universalité dans cette définition de la beauté: le Frigidaire et le paquet de Lucky Strike redessinés par lui ont eu un énorme succès, et je ne crois pas qu'il se trouve quelqu'un pour dire que les versions antérieures étaient mieux.


Mais il y a cette autre définition, qui n'est pas son opposée ni sa concurrente mais plutôt une sorte d'effet collatéral aléatoire de la première. C'est la beauté qui vous touche, vous, et pas votre voisin. C'est celle qui va jusqu'à l'individu en passant par le désir et l'amour. Ce n'est plus la beauté qui suscite le désir, mais la personne qui éprouve la beauté.

Souvent, cette définition de la beauté rejoint le première. Les choses unanimement belles suscitent plus facilement l'amour, c'est un fait. Souvent aussi, un objet séduit pour d'autres raisons: ses fonctions, son identité. Si les produits Apple ont des millions d'amoureux passionnés, c'est probablement parce qu'ils réunissent tout ça à la fois; ils sont en quelque sorte l'équivalent inanimé d'une star de cinéma qui serait à la fois ravissante, douée et premier rôle dans un grand film.

Mais il y a des choses qui nous séduisent par leur beauté, et bien que celle-ci parfois n'existe que dans nos yeux. C'est une attirance qui naît d'un ensemble de traits physiques, parce que ceux-ci évoquent en nous des traits de caractère correspondants, et qui nous touchent. Miroir de nous-même ou complément rêvé, coup de foudre ou attachement lent, cela se passe pour les choses comme pour les personnes. Cette autre définition de la beauté, on pourrait dire que c'est l'aspect esthétique de l'amour.

Un designer compétent n'éprouvera aucune difficulté à concevoir un produit beau selon la première définition, mais aucune recette ne lui garantit de faire un objet qui touche ainsi au cœur, ne serait-ce que d'un petit nombre de personnes. Puisque c'est si personnel, si subjectif, si inattendu...

Mais pour cela même, j'avancerais qu'il existe une recette inverse. Ne pas être personnel, dessiner non pas pour soi mais pour un portrait robot du consommateur attendu, c'est peut-être la garantie de ne pas toucher un jour un cœur qui bat. Entendons-nous bien, ce n'est pas du designer que le consommateur tombe amoureux, c'est bien d'un produit, qui lui dit des choses que le designer n'avait probablement pas imaginées. Mais si celui-ci y avait mis un peu de son âme, alors il n'a pas pu manquer d'y mettre une âme. Et l'âme, il n'y a pas vraiment d'autre filtre d'amour.

jeudi 12 janvier 2012

Solide vaisselle

Il y a quelque temps, je suis tombée sur ce projet de "liquide vaisselle solide", imaginé par les designers de Capital Innovation et adopté par Spontex en 2004.



Le concept m'avait paru excellent, et basé sur une analyse de besoin pertinente. Comme les designers l'expliquaient, le liquide vaisselle est adapté à la "plonge", mais pour la vaisselle d'appoint à l'eau courante qu'on pratique aujourd'hui, il oblige à un constant jonglage de trois objets sur deux mains et entraîne un grand gaspillage de produit. D'où la recherche d'un produit vaisselle accessible d'une seule main et dosable au plus juste, et sa solution: le produit solide sur un support stable au bord de l'évier.


Emballée par l'objet, mais ne le trouvant pas sur les étals, je dénichai une alternative: un cube de savon de Marseille.

Ça marche très bien. Le savon de Marseille s'avère un produit parfait pour dégraisser la vaisselle. Et le fait de frotter son éponge directement sur le cube, sans avoir à le prendre en main, économise effectivement des gestes et du temps.

Quelques points en faveur du savon de Marseille par rapport à ce produit: c'est économique (environ 75 centimes les 100g), compact (mon cube de 400g a déjà deux mois), écologique, peu agressif pour la peau et d'un parfum délicieux. J'ai lu pas mal de commentaires d'utilisateurs de Vaisselle Express se plaignant de ne pas pouvoir faire tremper: je n'ai pas eu ce problème, c'est peut-être parce que j'utilise une brosse, ce qui permet de déposer du savon sans se mouiller les doigts, comme avec un flacon.


Un impératif, cependant, si on ne veut pas perdre l'avantage du "troisième bras": un support stable pour le savon. Après quelques recherches, j'ai retenu ce porte-savon en loofah (chez Saponaire), qui le maintient relativement adhéré, et ne glisse pas sur l'évier. Mais ce n'est pas non plus d'une stabilité parfaite, et puis l'autre inconvénient, surtout pour la brosse, c'est qu'on a pas mal de projections autour.

En fait, moi, ce dont cette expérience me donne envie, c'est d'un évier qui serait prévu pour ça. Vous savez, comme tous ces lavabos qui "savent" que vous allez probablement placer une savonnette sur le rebord et vous mettent un petit porte-savon en creux. Personnellement, j'aime beaucoup; c'est streamline, c'est propre, c'est attentionné.

Mon évier idéal aurait deux creux porte-savon juste de la taille d'un gros cube de savon de Marseille standard. La profondeur serait du tiers de la hauteur du bloc, soit 2,5 cm, pour que celui-ci soit à la fois bien maintenu en place, et facile d'accès même quand il est presque fini. Une rigole sur toute sa longueur permettrait l'écoulement de l'eau et faciliterait le nettoyage. Dans les maisons où vivent des droitiers et des gauchers, on pourrait mettre un savon de chaque côté, mais sinon, le creux inutilisé pourrait abriter un flacon-pompe taillé aux mêmes dimensions et destiné à contenir du vinaigre, un parfait complément pour le détartrage et la désinfection. Enfin, un rebord autour de la plate-forme éviterait toute projection vers le plan de travail.


Bien sûr, les lavabos avec porte-savon intégré, c'était avant les années 80 et l'invasion des Pouss'Mousse. Ces trente dernières années, la tendance était aux produits aux formes constamment renouvelées, et dont une partie de l'action était menée par un packaging sophistiqué —comme Vaisselle Express et son support à ventouse. Dans ces conditions, intégrer des fonctions dans les meubles était contre-productif. Mais cette tendance s'essouffle en nos temps de retour au naturel, et un nombre grandissant de consommateurs sont attirés par des produits simples et des contenants pérennes.

jeudi 5 janvier 2012

Deux bonnes sources

Si vous me lisez, c'est probablement que le design vous intéresse. Alors je voudrais partager avec vous mes deux sources d'information préférées dans ce domaine, si vous ne les connaissez pas déjà. Il faut être angliciste, mais elles valent tous les détours.

La première c'est DnA: Design And Architecture, par Frances Anderton. Programme de la radio californienne KCRW depuis 2002, il est disponible sous forme de podcast sur sa page et sur iTunes. Chaque mois, c'est un panorama de l'actualité du design plus un dossier sur un thème saillant, le tout constitué essentiellement d'interviews. Qu'il soit principalement centré sur Los Angeles, et que le support audio soit un peu frustrant pour un sujet aussi visuel, ne m'empêche pas d'en retirer une montagne de vues nouvelles à chaque épisode.

J'aime beaucoup écouter Frances Anderton. J'ai tout de suite été frappée par son accent anglais parmi l'accent américain de la plupart de ses invités: c'est en effet une Anglaise tombée amoureuse de Los Angeles, après être passée par l'Italie et l'Inde. Pour moi qui de mes voyages ai gardé une affection particulière pour l'esprit anglais et le thé au lait, c'était une boucle sympathique. Ses interviews montrent une grande culture, discernement et précision; elle ne laisse pas de points importants sans réponse, et en même temps elle sait mettre à l'aise ses interlocuteurs pour qu'ils livrent leurs points de vue les plus intéressants.

(Photo Marc Goldstein)

Mon autre grande source, c'est la section Art & Design du New York Times. J'ai souscrit un abonnement (gratuit) à tous les articles libellés "design" du journal, qui me les envoie par email, c'est bien pratique. Je ne crois pas avoir besoin de présenter le New York Times; quand on s'est habitué aux canons de rédaction de ses journalistes —précision, exhaustivité—, on peut avoir du mal à lire d'autres journaux.

Ma préférée parmi ces auteurs est Alice Rawsthorn. Une éminence dans son champ, elle est la critique design en titre de l'International Herald Tribune (l'édition mondiale du NYT), où elle publie une chronique chaque lundi. Je la lis donc grâce au système précité; on en trouve également la liste complète sur son site, y compris des articles pour d'autres médias. Ses articles rigoureux et bourrés de références m'ont été précieux en tant qu'autodidacte. Au fil des années, ils m'ont appris ou mise sur la piste d'un nombre incalculable de choses. Mais c'est aussi pour son style que je l'apprécie, et en particulier pour ses prises de position. Quand elle n'aime pas quelque chose, sa verve a de quoi faire mourir de honte les designers concernés, et de rire les lecteurs.

(Photo Fred Ernst)

Hasard ou fatalité, mes deux sources d'information favorites sur le design sont deux Anglaises. L'humour et la sévérité, traits typiques de ce grand peuple, sont peut-être aussi des instruments particulièrement aptes à regarder le design.