dimanche 18 mars 2012

Check in

Depuis qu'ils ont lancé le pré- check in depuis la maison, je n'y comprends plus rien, moi, à l'avion.

Déjà, check in, ça ne voulait pas dire: "arriver", enfin: "prouver par les actes qu'on va vraiment être dans l'avion", autrement dit: "se pointer à l'aéroport avec son passeport en règle"...? Qu'est-ce qu'ils gagnent, avec ce nouveau système? Moi je pensais que l'une des fonctions du check in, c'était de savoir sur qui on comptait réellement dans l'avion pour revendre à d'autres les places des retardataires et des distraits. Mais si je fais mon check in depuis mon ordinateur et qu'après je ne viens pas, ils ne le sauront qu'à la dernière minute...

Surtout qu'il y a un mic-mac dans les horaires, moi qui m'en tenais à la règle d'arriver deux heures avant le départ du vol, je suis toute perdue.



Comment ça l'embarquement commence à 12h50, mais j'ai jusqu'à 13h pour déposer mes bagages...? (pour un départ à 13h20)

Au fait, je suis à Milan cette semaine. Pour le Festival du Film d'Afrique, d'Asie et d'Amérique Latine. Eh oui, c'est que je suis actrice aussi, à mes heures. Une autre corde à mon arc. (Le pauvre, il en a tellement, de cordes, c'est plutôt une harpe. Dommage que je ne sache pas en jouer.)

mardi 13 mars 2012

Appétissant

Au moment où je prenais cette photo de la devanture d'une pâtisserie arabe, une dame en est sortie, un paquet à la main, et elle m'a dit: "Moi aussi j'avais envie de les prendre en photo, ces gâteaux, ils sont tellement appétissants!". Apparemment, elle avait fait mieux que de les prendre en photo, elle les avait achetés. Et moi, je l'aurais bien imitée.


En même temps, quelque chose me laisse perplexe: d'où vient qu'on puisse trouver appétissants des objets aux couleurs si évidemment artificielles? Avec des paillettes! Pourquoi ces formes d'étoiles et de couronnes ornées de festons nous donnent-elle envie de les manger? Si notre cerveau avait deux doigts de logique, ne devrait-il pas au contraire nous avertir: "Attention, objet probablement non comestible"...?

Les couleurs et les formes nous attirent. Nous voulons les posséder, les porter, les manger... Je me demande quel sens donnerait à cela un spécialiste de l'évolution.

mardi 6 mars 2012

Vestibule

Quasiment tous les logements possèdent une "entrée", espace intermédiaire entre la porte d'entrée et les pièces. Mais il est rare qu'elle rende un bien grand service: c'est juste un lieu de passage où l'on laisse ses affaires en entrant, —parfois même pas ça. Pourtant, une pièce conçue de manière adéquate, un véritable "vestibule", ou "mudroom" comme l'appellent les Américains, pourrait se révéler très utile.

Prenez, pour changer, votre blogueuse. Il est neuf heures du soir et je me prépare à sortir avec des amis. Où est ma veste? Accrochée au porte-manteaux dans l'entrée. Et l'adresse du rendez-vous? Sur le bloc-note à côté du téléphone, dans le salon. Zut, on dirait qu'il va pleuvoir: mon imperméable est en haut dans ma penderie. Je suis présentable? Petit tour par la salle de bain. Et mes clés, où est-ce que je les ai laissées?

Dix minutes à parcourir la maison à la recherche de mes affaires. Et encore heureux que je ne vous aie pas raconté comment c'est quand je sors avec mes enfants, et que l'un s'échappe dans le jardin pour faire un tunnel de terre pendant que je cherche les chaussures de l'autre.

Une entrée assez grande et équipée pourrait réunir toutes ces choses dont nous avons besoin dehors et pas dedans: manteaux, écharpes, parapluies, sacs à main, chariots. Comme ça on ne fait pas des allers-retours pour les chercher avant de sortir ni pour les ranger en arrivant; elles sont à l'endroit où l'on a besoin d'elles, et elles y sont toutes, pour choisir la plus appropriée pour l'occasion.

Par ailleurs, on dit qu'il ne faut pas ranger ces choses-là avec les vêtements propres: elles les contaminent. Quant aux chaussures, je trouve hautement civilisé l'usage arabo-asiatique de les retirer au seuil d'une maison. Tous, visiteurs compris, circulent dans le logement en chaussons ou en chaussettes immaculées. Les maisons qui fonctionnent ainsi me font un effet intime, propre, doux. C'est beaucoup plus hygiénique si l'on veut utiliser des tapis ou moquettes. Or ceux-ci sont un très efficace isolant thermique, à considérer en ces temps de conscience énergétique, ainsi qu'un isolant phonique fort bienvenu dans les immeubles d'appartements.



Mais le coup d'entreposer dans son entrée toutes les affaires d'extérieur requiert autre chose qu'une patère et un coin d'escalier, du moins pas dans une famille de plusieurs personnes. Il faut une vraie armoire où entrent tous les vêtements et accessoires d'extérieur de tous les membres. Et pour choisir les choses et se les mettre, il est pratique d'avoir quelques sièges, ainsi qu'un miroir en pied. Les toilettes s'utilisent beaucoup juste avant de sortir ou juste en arrivant, surtout avec des enfants et leurs éternelles mains sales, de sorte qu'il est utile qu'elles se trouvent pile là, donnant sur le vestibule, et équipée bien sûr d'un lave-mains.

Autre chose qu'il est bien pratique d'avoir dans l'entrée c'est une petite table. Ça permet de remplir un sac, se vider les poches en arrivant, déposer les courses, ouvrir le cadeau des invités... La même table peut servir de station téléphone: base du fixe, chargeurs des portables, bloc-notes, répertoire, plans, menus des restaurateurs à domicile... Et elle peut être idéale comme poste pour "objets en transit": —je ne connais pas de maison qui n'ait pas son endroit où les gens déposent ces choses-là: le courrier arrivé, le film à rendre, le vêtement égaré, la liste de courses, le dépliant à garder... C'est un vrai besoin, mais qui est rarement pris en compte au point d'accommoder un lieu spécialement pour ça. Le résultat, c'est que la fonction squatte une surface (souvent dans la cuisine) en créant une impression de désordre. Le vestibule est l'endroit le plus approprié pour elle, et si on lui assigne un meuble doté de suffisamment d'espaces de rangement, il gardera un air limpide.



Illustrée ici, une ancienne coiffeuse a été recyclée en table de vestibule: le miroir est remplacé par un tableau métallique avec des aimants, des crochets dans le cadre suspendent les clés, des prises électriques permettent de recharger les téléphones, un plat original sert de vide-poche, et les nombreux tiroirs abritent proprement annuaires, paperasse, et tous ces petits objets qu'on ne sait jamais où mettre.

L'amélioration de rendement générée par ces dispositions peut sembler peu cruciale à certains, mais pour des gens qui ont des bébés, des enfants petits ou des problèmes de mobilité, elle peut s'avérer extrêmement significative. Je le dis, comme toujours, d'expérience.

Dans un petit appartement, une "mudroom" comme celle-ci-ci prendrait trop de place. Mais je ne crois pas que la bonne réponse soit de lui mettre une entrée toute petite: ça ne sera qu'un mètre carré et demi de perdu. Au lieu de ça, je suggèrerais d'éliminer complètement le vestibule et entrer directement dans la pièce principale, mais en prévoyant armoire, table et toilettes près de la porte.

vendredi 2 mars 2012

Cerebos

Il y a belle lurette que plus personne ne fait accroire aux enfants qu'ils pourront attraper des oiseaux en leur versant du sel sur la queue. Manifestement, il n'y a plus grand monde à qui ce bobard dise quelque chose, ils sont tous morts et leurs enfants n'ont pas lu Bécassine. En tout cas, c'est ce que doivent penser les conseillers en communication de Cerebos, la marque de sel dont les emballages portaient jusqu'à il y a peu l'image d'un petit garçon espiègle chassant un oiseau à grands coups de salière.


Non non non non, auront dit les communicants. Que c'est vilain, que c'est violent, que c'est politiquement incorrect. Ce qu'il vous faut c'est une nouvelle image, plus dans l'air du temps. Gardez l'enfant, gardez l'oiseau, on n'y verra que du sel. Mais faites-en quelque chose d'actuel, quelque chose de cucu-la-praline, quelque chose de grandiloquent. Mettez que l'enfant était malade, que l'oiseau est venu lui apporter du sel pour le guérir. Ça tient debout, si si si si, parole d'experts. Il faut faire ancien, c'est plus actuel. Réécrivez votre logo dans un style plus rétro, ajoutez la date dessous pour être sûrs qu'on comprenne. Voilà, that is the chef-d'œuvre, une histoire d'amitié transraciale et gnan-gnan, digne symbole de cette époque où le monde était beau et les enfants gentils, pas comme les petits monstres de maintenant avec leurs jeux video, et où Cérébos veillait déjà, iodé.

jeudi 1 mars 2012

Fred Faruggia

Je suis tout de suite tombée sous le charme de ce kit de maquillage de Fred Faruggia que ma sœur m'a montré.



C'est un écrin à la forme très originale, inventée par le célèbre Ora-ïto. Le concept est que les fards viennent sous forme de "modules"; on en choisit autant qu'on veut dans une large gamme, et on les clipse par l'extrémité aimantée entre un fond miroir et un couvercle. Selon les créateurs, tout le maquillage d'une personne peut être contenu dans un seul objet compact et totalement personnalisé.

L'écrin est très agréable, pas luxueux mais pas cheap non plus. Le style est sobre tendance ludique. J'ai beaucoup aimé le manipuler, sentir comme il se refermait avec un petit clic juste. Un objet très séduisant, tant par son concept de tout intégré et modulable, que par sa forme différente.

Alors passons à d'autres questions: les acheteurs en sont-ils contents? Leur sert-il réellement à tout? Cette nouvelle forme va-t-elle être adoptée définitivement par le plus grand nombre, ou même par un petit nombre, ou restera-t-elle une expérience isolée?

Le site de Sephora, distributeur exclusif de la marque, contient de nombreuses appréciations de clientes, qui sont pour la plupart enthousiastes. Il y a un détail qui revient tout de même: celles qui se maquillent beaucoup le trouvent trop gros pour être viable, il serait surtout adapté à des retouches à l'extérieur. Je remarque que celui de ma sœur ne prétend effectivement pas suffire à un maquillage complet, ne parlons pas d'une palette de passionnée.

Je fais un petit test: est-ce que je peux me composer un kit qui couvre tous mes besoins, qui devienne mon seul et unique objet de maquillage?

Voici le contenu de mon panier virtuel chez Sephora:
  • le "full set", c'est à dire la base où se clipsent les modules, —pas la petite avec juste le miroir, mais celle dont le fond est un tiroir contenant les pinceaux.
  • une poudre compacte.
  • un blush poudre.
  • un "kit regard", soit un fard à paupières pouvant servir d'eyeliner, et un fard à sourcils.
  • un mascara cake
  • un rouge à lèvre crème et gloss transparent.
Le résultat est un objet du prix de 95€ et d'une hauteur estimée de 6 à 7 cm. 

Le tarif reste raisonnable pour un set complet. Surtout que celui-ci garde l'avantage d'être renouvelable séparément et aussi d'être constitué petit à petit, donc sans faire l'investissement tout d'un coup.

La hauteur est plus problématique. Je n'ai malheureusement pas sous la main les mesures exactes. Mais le petit kit de ma sœur entrait déjà difficilement dans sa pochette, pourtant prévue à cet effet et incluse dedans. Avec mon set, elle devient inutilisable, et je dois trouver ailleurs de quoi éviter qu'il ne s'ouvre accidentellement dans mon sac, nécessité impérative vu le mode d'ouverture.

En fait, cette pochette est la tare visible de cette création: c'est évidemment un mauvais système qu'un étui de taille fixe, pour un objet dont le charme est de prendre toutes les tailles possibles. En même temps, quelque chose est nécessaire pour empêcher l'écrin de s'ouvrir pendant le transport. Je suggère que monsieur Ora-ïto se penche sur la question.

Supposons le problème réglé, ce kit a-t-il un avantage sur la bonne vieille trousse garnie de produits glanés çà et là? —À la réflexion, j'en doute.

D'abord pour l'ergonomie: ma tour de 6-7 cm, si je l'ouvre pour me maquiller, et que je la tiens par la colonne d'aimants, je ne suis pas sûre qu'ils n'aillent pas se déclipser sous la pression, ni que la position ne me donne pas une crampe. Je n'ai pas testé, donc je ne veux pas m'avancer, mais je soupçonne qu'on a moins de liberté de mouvement.

Ensuite, parce que le choix a beau être large, il va rester par définition plus limité que l'offre totale sur le marché. Imaginons que finalement, le mascara de ce kit ne me plaise pas, ou la poudre: il n'y a rien à faire, je vais devoir maintenir d'autres produits à côté. En fait je parie que bien peu d'utilisateurs vont réellement user de la fonction tout intégré; pour la plupart, ce sera comme pour ma sœur, une palette de plus dans leur vanity.

Or là, l'objet n'est pas aussi compact que les formes existantes, avec son gros aimant sur le côté. Cette palette de la photo prendra finalement moins de place dans un traditionnel poudrier bivalve ou de petites boîtes de fards unitaires.

Bref, comme beaucoup d'innovations, celle-ci est très séduisante à première vue, mais peut entraîner plus de problèmes qu'elle n'en résout. Un peu poudre aux yeux, si vous me pardonnez le jeu de mots...

mercredi 29 février 2012

Personnalisé

Il y a dans cette ville une personne qui ne doit pas confondre ses bacs à poubelle avec ceux de ses voisins.


mardi 28 février 2012

Vive la copie

Lors de ma dernière visite au Chili, je suis tombée en arrêt devant la vitrine d'une boutique de chaussures: des Robeez! (Si vous avez de jeunes enfants, il est peu probable que vous ne connaissiez pas ces chaussures en cuir souple qui ont révolutionné les pieds des bébés. Devenues très populaires en Europe et aux Etats-Unis, elles étaient encore inconnues en Amérique du Sud il y a un an.)

Je regarde de plus près: non, ce ne sont pas des Robeez, ni aucune des autres marques de ma connaissance qui ont fleuri à sa suite (certaines revendiquent l'antériorité). Ce sont des Kuggz, 100% chiliennes.



Non seulement la fameuse forme qui ne s'échappe pas du pied y est, je reconnais aussi carrément des designs que j'ai achetés à mes mouflets dans le catalogue de la maison sus-mentionnée; et jusqu'au style du logo.

Est-ce que ça me choque? Pas le moins du monde.

Avant eux, il n'y avait pas de chaussons de cuir souple qui tiennent aux pieds au Chili. Et croyez-moi, c'est un manque. Si vous en vouliez, il fallait les commander au Canada. Tarif pays riche, plus frais de port. Ceux-ci sont à moins de 10.000 pesos, soit environ 15 euros, tout à fait abordable. Et ils ont créé du travail pour des Chiliens, qui n'est même pas du travail piqué aux Canadiens puisqu'ils n'avaient guère de chances de vendre sur ce marché.

Mais les avantages sociaux et écologiques ne sont pas tout. La copie, c'est aussi bon pour la créativité. Paradoxe? Johanna Blakley explique ici que l'industrie de la mode est aussi vivante parce qu'elle n'a pas de copyright. Entre autres bénéfices, l'absence de protection pousse les designers à se surpasser, et accélère et approfondit le cycle d'innovation. Impossible de se reposer sur ses lauriers, en d'autres termes.


Et de la copie, au sud du monde, j'en ai vu. Des pubs de lingerie pompées sur les leçons de séduction d'Aubade, aux petits fromages industriels aux noms d'AOC françaises. Même moi je me suis fait pomper. J'avais lancé une campagne en faveur de l'ouverture du mariage aux couples homos, avec le slogan "Yo no me caso hasta que todos puedan" ("Je ne me marie pas jusqu'à ce que tout le monde le puisse"):


Et regardez ce que ça a donné quelques mois plus tard, chez une enseigne de prêt-à-porter: "Nous ne nous marions pas jusqu'à ce que tout le monde le puisse".


Clin d'œil ou appropriation sans vergogne? Moi: très fière, et heureuse qu'une idée à laquelle je crois soit plus diffusée.

Ceux qui ne veulent imiter personne ne créent jamais rien.
Salvador Dalí

lundi 27 février 2012

Rencontre

Je marche dans la rue, je passe derrière un abribus, et tout d'un coup, à travers la vitre, je vois un carnet de croquis ouvert sur un dessin absolument saisissant. C'est un paysage urbain: celui qui s'étale devant nous, ces beaux immeubles bourgeois de la place de Tourny, et l'entrelacs compliqué de leurs détails riches avec les passants, les enseignes, les voitures, les panneaux. Une main y ajoute un trait d'encre et un autre. Il faut que je la connaisse.

J'ai le plaisir de vous présenter Ekaterina Vasilchenko, étudiante en management d'art et en sciences politiques, venue de Russie apprendre le français. ...Et dessiner, rien que pour le plaisir, me dit-elle.





vendredi 24 février 2012

Les pictogrammes, c'est pour les cracks

Heureusement que je me suis téléchargé les instructions de la Ville de Bordeaux sur le recyclage des déchets. Quel emballage va dans quel bac, tout est .

Heureusement, parce que moi qui suis un peu bébête, je ne comprends pas ce que veulent dire les petits pictogrammes que Carrefour Bio a mis sur les paquets pour me guider.


Celui-ci par exemple, à votre avis, ça veut dire: "Ne jetez pas le papier d'alu du chocolat dans le bac vert, seulement le carton"? Ou: "Dépliez le carton avant de le jeter"?


Et celui-ci? "Jetez le couvercle et le pot de verre dans le bac de recyclage"? Ah bon, parce que si c'est comme ça, on va se faire gronder: dans ma commune pour le moins, le verre se jette dans un bac spécial.

J'ai une héroïne aux États-Unis, elle s'appelle Kathryn Schulz et elle a écrit un livre qui s'appelle Being Wrong ("Se tromper"). À propos de quoi, elle raconte ici comment ce panneau routier indicateur d'une aire de pique-nique lui a fait l'effet pendant des kilomètres d'être un obscur idéogramme chinois.



Les pictogrammes, c'est utile pour donner une indication visible de loin et/ou avec peu de temps, comme en voiture. Mais pour qu'ils marchent, il faut les connaître par cœur, donc c'est un peu pour ça qu'on apprend son code.

Alors que si on a envie de savoir où jeter un emballage, on doit normalement pouvoir le regarder de près et en plus de trois secondes. Le mode pictogramme devient superflu, et au vu de la complexité de la chose, contre-productif. En fait, pour faire passer des informations un petit peu détaillées ou nuancées, on n'a encore rien trouvé de mieux que le langage verbal.

Comme ici, chez Bjorg, avec quelques ornements stylistiques mais une conclusion sans appel:


Ou mieux encore, sur ce pot de peinture Luxens: "acier recyclable".


En deux mots, ça me dit où je jette, mais aussi en quoi c'est fait, ce qui peut être très utile si par hasard ma commune a, ou acquiert, un circuit particulier pour le recyclage de cette matière.


Le petit dessin au dessus, avec son chouette aimant en fer à cheval qui plaît beaucoup à mon fils, m'aurait laissée fort amusée mais les bras ballants, j'avoue.

jeudi 23 février 2012

Clôture brute

J'aime bien la clôture du Jardin Botanique de la Bastide, à Bordeaux, faite de grosses planches de bois brut empilées.



mardi 21 février 2012

Buanderie

En Espagne, les immeubles ont des étendoirs à linge installés dans les cours intérieures. J'ai connu deux modèles:
  • Le balcon-buanderie:

  • Et la corde à coulisse:




Eh bien, c'est bien pratique. Et pas du tout dangereux, contrairement à ce que m'ont demandé nombre de visiteurs français.

En France, un espace dédié au linge, et particulièrement à son séchage, semble optionnel, plutôt réservé aux grandes maisons... comme si laver le linge n'était pas une nécessité de base. Le mot buanderie fait château ou grand hôtel. On met la machine à laver dans un placard, dans la salle de bain, souvent même dans la cuisine, ce qui est assez bizarre si on y pense deux secondes. Le panier de linge sale, du coup, ne se trouve pas forcément juste à côté. Quant au séchage, on le fait:
  • à la machine —gourmande en électricité, use les textiles
  • au-dessus de la baignoire —la belle idée d'aller mettre quelque chose à sécher dans la pièce la plus humide de la maison, surtout que souvent, elle n'a même pas de fenêtre!
  • sur un étendoir pliable qu'on va disposer dans un coin de l'appartement —et être gêné de recevoir du monde pendant ce temps...
Les trois formats sont au demeurant tout à fait inadaptés aux draps.

Certaines mauvaises langues européennes vous diront que cette carence colle bien avec la réputation de manque d'hygiène des Français, et qu'elle rejoint en cela les toilettes isolées de la salle de bain et sans lave-mains. C'est un peu fâcheux, comme réputation, il faut avouer. Encore pire si elle était vraie.

Mais concevoir un immeuble d'habitation sans prendre en compte la nécessité de blanchissage, c'est faire comme si elle n'existait pas, donc inviter les usagers à la délaisser, ou les obliger à recourir à des systèmes sous-rentables. Quand l'espace est réduit, c'est aux mètres carrés "de luxe" qu'il faut faire la chasse. Les pièces techniques, celles qui permettent la préparation des repas, l'hygiène personnelle et l'entretien, devraient au contraire faire l'objet d'un soin particulier pour qu'elles ne soient en rien sacrifiées, mais facilitées au maximum.

lundi 20 février 2012

Facebook Timeline

Il est vraiment hideux, ce nouveau look de Facebook, Timeline. Et pas clair, fouillis. Je ne sais pas ce qui leur a pris, eux qui avaient réussi une interface si limpide, de la fiche en l'air comme ça.

Et puis, leur argument d'accéder facilement à tout l'historique du compte, il ne tient pas du tout. Il y a ceux que le concept a horrifiés, ceux —comme moi— à qui ça plaisait plutôt, mais en fait la question ne se pose même pas: votre historique, avec ce nouveau système, si quelqu'un veut le déterrer, il va devoir se lever de bonne heure. Il va tomber sur des trucs au hasard, ou choisis par un algorithme à la noix, et pas sur une liste exhaustive.

J'ai écrit un poème il y a quelques années, qui consistait en un vers chaque jour dans mon statut de Facebook. Une petite expérience rigolote. J'ai essayé de le retrouver avec le nouveau système, eh bien je n'ai pas pu. Je retourne vers les dates où je l'ai publié, ça me sort des machins dans tous les sens, ça clignote, enfin c'est n'importe quoi. Une liste chronologique de tous les statuts aurait parfaitement fait l'affaire, mais non, il a fallu qu'ils soient plus malins.

Et le jour de mon anniversaire, quand plein d'amis sont venus poster sur mon mur, j'arrivais à leur répondre si j'arrivais tout de suite après. Si je traînais un peu plus, leurs posts passaient automatiquement  sur un tableau spécial, et alors là bonjour pour leur écrire une réponse. C'est quoi ce truc qui veut penser à votre place?



La meilleure époque de Facebook, à mes yeux, ça a été quand ils ont divisé la page entre les onglets murinformation, etc. On sortait du bazar qu'était le mur à tout faire des premiers temps, mais on était encore dans un style très clair, très épuré, très lisible. Ça a commencé à être moins bien quand ils ont ajouté cette colonne à droite, qui vous répète ce que qui est déjà écrit sur votre page d'accueil, et qui bondit quand vous avez la maladresse de passer votre souris dessus.

Indépendamment de ce qu'on pense du look, —ou de la manie de penser à votre place—, je ne suis pas sûre que cette nouvelle interface soit une excellente stratégie pour gagner de nouveaux adhérents. C'est devenu si peu intuitif que ça devrait rebuter les personnes qui viendraient prendre un premier contact.

vendredi 17 février 2012

Gratitude

La première fois que j'ai ressenti de la gratitude pour un design bien pensé, c'était il y a 23 ans, en utilisant ce radio-réveil Digicube de Sony que ma maman m'avait offert, et qui ne m'a jamais quittée.


Il avait ce petit look très sympathique. Mais il avait surtout quelque chose d'extraordinaire: des boutons qui faisaient du braille. Quelqu'un avait pensé à moi et à d'autres utilisateurs, enfouis au fond d'une couette, tendant à l'aveuglette une main pour commander à notre réveil.

Il avait pensé à ce que nous pouvions vouloir faire: chercher une station, programmer de se faire réveiller par l'alarme ou par la radio, régler la luminosité, commander à l'appareil de s'éteindre tout seul si on s'endormait pendant Du Jour au lendemain, ou de se rallumer huit minutes après qu'on l'ait fait taire à la sonnerie du matin...

Et il avait donné à chaque bouton une forme bien différenciée pour qu'on le reconnaisse du bout des doigts: ovale pour allumer, cratère pour éteindre, gros poussoir pour repousser le réveil... Il avait mis sur le dessus les boutons qui s'enfoncent, et sur les côtés, des roues et des curseurs que l'on pouvait bouger tout en maintenant l'appareil en place du reste de la main.







J'étais saisie par la différence avec d'autres radios-réveils que j'avais maniés, et qui avaient leurs commandes disposées selon des critères esthétiques ou simplement au petit bonheur, et qui n'avaient pas la générosité de s'adapter ainsi à l'usage qu'on en ferait. Le comble, c'était qu'il arrivait aussi à être plus joli.

J'avais onze ans, et j'ai compris qu'un designer a le pouvoir de rendre beaucoup de services, —ou pas.

jeudi 16 février 2012

Discret subversif

Christian Blachas, le fondateur et présentateur de la mythique émission Culture Pub, est mort le 5 février, et ça fait un coup pour tous ceux qui, comme moi, la suivaient avec passion depuis des décennies.

La pub télé, il nous a permis de profiter de ce qu'elle avait de génial —sa merveilleuse créativité, et tout ce qu'elle enseigne sur la société—, en nous installant dans une position d'observateur et non plus de cible.

Christian Blachas, par Christophe Clerici


La Culture Pub de dimanche dernier lui était consacrée. On y trouve un récapitulatif intéressant de sa vie, mais je la retiendrai aussi pour le franc-parler d'Anne Magnien, la co-fondatrice de l'émission. La télé, dit-elle, n'a jamais été l'endroit de la liberté d'expression ni de la subversion. Et non, malgré ce que semble croire une Charlotte Bricard encore un peu hagarde, les femmes à la télé n'ont hélas jamais perdu leur rôle de potiches...

C'est beau d'avoir des lieux où l'on parle librement de pub au nez des annonceurs, de télé au nez de la télé, et de tout ce qu'on veut au nez de ceux qui peuvent vous couper les vivres. L'expérience de Christian Blachas nous dit: ils ne le feront pas, pourvu que vous leur teniez tête avec ténacité et brio.

jeudi 9 février 2012

Petits dessins

Plus d'un lecteur m'a déjà confié que ce qu'il aime dans ce blog, ce sont mes petits dessins.
Or en ce moment, mes petits dessins, je les garde pour moi! Tous mes projets sont en développement! Top secret!

Alors j'ai pensé à eux quand je suis tombée sur le site de la designer Ionna Vautrin. Un site très beau et intuitif, sans autre prétention que la perfection. Et pour presque chaque création présentée, un ou plusieurs petits dessins, apparemment issus des carnets de la créatrice, et dans un style charmant: un peu naïf, fonctionnel, bien loin du rough virtuose qu'on voit dans tous les portfolios. En voici un florilège:

Donges, par Ionna Vautrin

Pour ma retraite, par Ionna Vautrin

Fabbrica del vapore, par Ionna Vautrin

Rétroviseur domestique, par Ionna Vautrin

Puisque nous sommes dans les dessins, j'ai une autre petite perle pour vous. Mon ex-mari, l'écrivain Gonzalo Garcés, est connu pour ses romans, mais bien peu connaissent son talent de caricaturiste. Voici votre blogueuse, croquée dans ce qui doit rester à ce jour son portrait le plus ressemblant, photos comprises.

Bonnie, par Gonzalo Garcés

jeudi 2 février 2012

Révolution demandée

La semaine dernière, le New York Times a publié un long article au sujet des conditions de travail consternantes observées dans les usines chinoises qui fournissent Apple, dont la principale est celle de Foxconn à Shenzhen.
"Nous nous efforçons vraiment d'améliorer les choses, nous a dit un ancien cadre chez Apple, mais la plupart des gens seraient quand même horrifiés s'ils voyaient d'où vient leur iPhone"
Quatre morts et des centaines de blessés dans deux explosions causées par la poussière d'aluminium dans des locaux mal ventilés. Des journées routinières de dix heures, six jours sur sept. Des heures supplémentaires forcées qu'on oublie même de payer, des salaires retenus par punition. Des travailleurs mineurs, exposés à des produits toxiques, entassés dans des dortoirs où l'on met des filets aux escaliers pour empêcher les suicides... voilà quelques uns des détails dont nous informe l'article.

Photograph by Mike Clarke/AFP/Getty Images.
Apple assure qu'elle attache la plus grande importance au bien-être des employés de sa chaîne de production, et a établi un cahier des charges qui demande "que les conditions de travail (...) soient sûres, que les employés soient traités avec respect et dignité, et que les procédés de fabrication soient responsables envers l'environnement".

Mais les audits qu'elle conduit année après année montrent que les fournisseurs persistent à ne pas  respecter ce cahier des charges, et les représailles promises sont rarement mises en œuvre. Il faut dire que la compagnie exige d'un autre côté des tarifs et une réactivité qui rendent impossible des telles conditions.
"La seule manière de gagner de l'argent en travaillant pour Apple est de s'arranger pour faire les choses plus vite et moins cher, nous a dit un cadre d'une entreprise qui avait participé au lancement de l'iPad. Et ensuite, ils reviennent l'année suivante et nous forcent à un rabais de 10%."
L'un des spectacles les plus acclamés de l'année dernière aux États-Unis est un one-man-show appelé The Agony And The Ecstasy Of Steve Jobs, par Mike Daisey. En voici un extrait adapté pour la radio. L'auteur y raconte comment, inconditionnel d'Apple, il s'est soudain demandé qui fabriquait ses beaux joujoux. Il s'est rendu à Shenzhen, où il a interviewé des employés de l'usine Foxconn, visité des usines en se faisant passer pour un industriel et parlé avec des membres d'organisations —secrètes— de travailleurs. Si vous avez une heure de tranquillité, je vous recommande l'écoute de ce récit fascinant.

Mike Daisey in Shenzhen, China  Photo: Ursa Watz 
Apple est loin d'être la seule entreprise à utiliser ces pratiques. Pratiquement tous les produits technologiques, le prêt-à-porter, tout est fait à la main dans des usines chinoises, ou leurs équivalents d'autres pays.

Il y a un siècle, la révolution industrielle se bâtissait sur la sueur de milliers d'Européens, enfants pour un grand nombre, qui laissaient leur santé et leur vie dans les longues heures de travail abrutissant exigées par le progrès. Est-ce la liberté des peuples émergents de soumettre une génération à ces pratiques pour gagner leur place au soleil de la prospérité?

Comme consommateurs, avons-nous une responsabilité vis à vis de ces travailleurs? Et si nous estimons que c'est le cas, avons-nous le pouvoir d'exiger des produits fabriqués dans de bonnes conditions?

C'est l'avis de l'organisation Slavery Footprint, qui pose aux visiteurs de son site la saisissante question: "Combien d'esclaves travaillent-ils pour vous?" et propose un questionnaire ludique sur vos habitudes de consommation pour calculer une réponse.

L'organisation offre également une application mobile permettant en théorie de s'informer sur les pratiques des marques, ainsi que d'envoyer à celles-ci un message manifestant votre intérêt. Mais cette application n'est pas au point, d'après les tests que j'ai faits.

En attendant, rien n'empêche de faire la même chose "manuellement". Soucieuse à l'idée d'habiller mes enfants avec des vêtements cousus par d'autres enfants, j'ai téléphoné et écrit à diverses marques de prêt-à-porter. Chez Acanthe, on n'a daigné me répondre ni par téléphone, ni par email. J'ai pris ça comme un mauvais signe, en plus d'un manque de respect, et je n'ai plus rien acheté chez eux.

Les autres m'ont répondu ce qu'un certain nombre de marques affichent sur leur site, à savoir que leur fabrication est délocalisée —en Chine, en Inde, au Bangladesh, au Maroc, en Tunisie et un long et cetera— mais que leurs fournisseurs obéissent à un cahier des charges strict en matière de conditions de travail.

On se sent rassuré à lire de telles choses, mais c'est à peu près ce qu'Apple disait. Quand l'usine est dans un pays où les travailleurs ne sont pas efficacement protégés par la loi, comme la Chine, peut-on croire que le cahier des charges est vraiment respecté?

Les marques entendent bien monter cette préoccupation chez les consommateurs, mais elles savent aussi qu'elle fait peu de poids face aux prix bas et à la nouveauté. Parier sur la responsabilité sociale représente un risque: investir dans l'amélioration de sa chaîne de production, investir en communication pour que les clients tolèrent la hausse de prix et le rythme plus lent, espérer que ça marche...

Farhad Manjoo, sur Slate, avance qu'Apple se trouve dans la position idéale pour prendre ce risque en grand, et entraîner tout le monde à sa suite. D'une part, parce qu'elle a cent milliards de dollars dans ses caisses, et d'autre part, parce que son image est un point clé de son succès.

Mais Manjoo ne s'arrête pas à une simple amélioration des conditions de travail, et demande à l'entreprise une des révolutions dont elle a le secret. Foxconn, dit-il, étudie la possibilité de robotiser une partie de sa production; le temps où les travailleurs chinois ne voudront plus de ces emplois ne saurait en effet tarder beaucoup.
"Apple serait sage d'investir dans ce futur. Quand votre iPad sera fabriqué par un robot, vous n'aurez plus à vous sentir coupable de rien."
Un rêve éveillé? Mais après tout, est-ce que Apple ne s'est pas caractérisée par la création de choses encore plus extraordinaires qu'on aurait osé l'imaginer? Est-ce que révolutionner la manufacture ne pourrait pas être sa prochaine grande innovation?

Comme le disait Steve Jobs, "les gens ne savent pas ce qu'ils veulent jusqu'à ce qu'on leur montre."


jeudi 26 janvier 2012

Langage de l'uniforme

Il fut un temps où l'on croisait dans la rue les "pervenches". Par petits groupes à quatre épingles, un peu piaillants un peu ronflants, elles marchaient sur leurs petits talons, dans leurs petits tailleurs bleus, avec leurs petits chapeaux bleus, leurs petits sacs à main, et, entre leurs mains gantées de blanc, leurs redoutables petits carnets à distribuer les contraventions.


Aujourd'hui, voici l'allure des gens qui sanctionnent le mauvais stationnement: une sorte de treillis, avec rangers, casquette, et blouson, barrés de tous les côtés d'un gros sigle "ASVP".


Il ne me fait aucun doute que les personnes derrière ces uniformes sont foncièrement les mêmes. Pourtant, l'impression produite est radicalement différente.

Dans l'ensemble des Forces de l'Ordre françaises, depuis 2005, on a adopté ce genre de tenue. C'est Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, qui avait souhaité que la tenue, inchangée depuis vingt ans, soit modernisée. Conçue par Balenciaga Uniformes, "elle adopte dorénavant une ligne contemporaine et les matières actuelles qui la rendent plus fonctionnelle", selon ce communiqué du Ministère de l'Intérieur. Chaussures "commando", pantalon à poches "treillis", blouson, casquette souple... sur cette video présentée au journal de France2 en 2005, on détaille les aspects pratiques et confortables du nouvel uniforme, mais on ne dit pas un mot de ce qui saute aux yeux: l'inspiration militaire.

J'avoue ne pas très bien comprendre ce qui a motivé un tel choix. Dans les dernières versions, les coupes étaient passées de la vareuse raide au blouson plus décontracté, les signes distinctifs comme la bandoulière ou le képi avaient progressivement disparu (c'est une évolution qu'on voit très bien sur ce catalogue du site de l'Amicale Police & Patrimoine, dont je ne peux pas copier les photos). On devinait une intention de se rapprocher du public, être vu comme moins à part, plus comme tout un chacun. Quand on est chargé de maintenir l'ordre, on a toujours un petit problème d'image. L'uniforme est un moyen d'influencer la perception à travers le langage subliminal du vêtement. Essayons de détailler quelques uns de ces messages.

Des godillots, donc, des treillis et des coupe-vent. Autrement dit, des vêtements d'action et d'intempérie traditionnellement associés aux groupes de combat rapide et dangereux, les fameux commandos. Dans un pays en paix comme la France, on avait surtout l'occasion d'en voir sur les pompiers. Les pompiers, ils escaladent des façades, ils foncent sous les poutres en feu qui tombent, ils ne peuvent pas être en escarpins. En faisant porter ces vêtements aux policiers, a-t-on voulu suggérer que leur activité était devenue plus périlleuse? Est-ce un témoignage de l'intention que certains prêtent à Nicolas Sarkozy, de renforcer le sentiment d'insécurité des Français, pour mieux paraître y répondre? Si c'est le cas, je ne suis pas sûre du résultat. Voir des groupes qui ont l'air de soldats déambuler dans la ville me donne un peu des images d'occupation.

Photo: Rama, sur Wikimedia Commons

Quant au détail de la grande inscription en travers du dos, il me renvoie instinctivement au mot SECURITE inscrit sur le blouson des gardes privés. Idem pour la casquette. Était-il bien judicieux de donner aux gardiens de la paix une touche de videurs?

(Il faut que j'ouvre une parenthèse ici sur les ASVP, dont le sort me paraît particulièrement injuste. Primo: ils n'ont le droit d'arrêter que des voitures garées, mais on leur a quand même collé des vêtements de commando; franchement, ils doivent se sentir comme des enfants en costume de Superman. Deuzio: c'est donc déjà pas cool d'avoir une inscription dans le dos comme un poisson d'avril, mais fallait-il qu'en plus elle sonne comme une blague? Enfin, qu'est-ce que ça veut dire, ASVPAllumez s'il vous plaît? On n'utilise pas un sigle qui a déjà un sens pour tout le monde, enfin...)

Fermons la parenthèse. Il y a donc le langage du vêtement; mais la manière dont il est porté est comme le ton sur lequel on parle: il peut souligner, dévier, voire nier les paroles prononcées. Qu'en est-il de nos policiers en treillis? La panoplie commando renvoie à l'armée et aux missions dangereuses, de sorte qu'on tend à la compléter mentalement par une condition physique optimale, une certaine homogénéité anatomique et un comportement hautement discipliné. Or les policiers, ils sont recrutés dans une partie beaucoup plus large de la population: des gros, des petits, des maigres... Et ils ne sont pas entraînés à se tenir au garde-à-vous, ils se tiennent comme tout le monde, c'est à dire comme Agrippine. Rien de très mal à ça, enfin on en reparlera, sauf qu'ils sont en treillis. Et le relâchement en treillis, ça sonne une alarme: quelque chose n'est pas normal, le colonel est mort, les bidasses sont saouls; les tenues ont été usurpées par des caïds en mal d'intimidation. Ça fait gens qui ont les accessoires de la force mais qui ne sont pas sous contrôle; c'est encore moins rassurant que l'armée d'occupation.

La gestuelle a un tel poids dans l'impression qu'on produit, qu'une instruction en la matière accompagne beaucoup d'uniformes. Si c'est le cas de Forces de l'Ordre, non seulement elle est un peu laxiste sur la ligne du dos, mais elle omet un détail qui me paraît crucial: le regard.

J'ai été très frappée de croiser toutes sortes de représentants de l'Ordre, au regard fuyant. Quand vous voyez débarquer dans votre tram quatre fonctionnaires armés de pistolets et de mitraillettes, il y a une chose qui peut vous mettre à l'aise, c'est qu'ils vous adressent un regard franc. Mais à chaque fois que ça m'est arrivé, ils regardaient dans le vide, au sol ou entre eux; pas moyen de croiser leurs yeux. Or, ne pas soutenir un regard qu'on sait posé sur soi évoque deux sentiments possibles: quelqu'un qui se sent  méprisé et qui craint qu'on le prenne à partie, ou quelqu'un qui au contraire affiche son mépris des autres en affectant de les ignorer.

Quel que soit le sentiment réel de la personne, un entraînement sur la manière appropriée de diriger ses yeux est très utile pour l'image qu'elle va renvoyer, personnellement ou collectivement. Chez Starbucks,  les employés ont une série d'instructions précises pour traiter le client, et l'une d'elle est de capter son regard dans les dix secondes suivant son arrivée. Regarder dans les yeux établit un contact, et en plus l'oriente dans la direction désirée. C'est donc la première condition de la sympathie, chose qui intéresse la chaîne de cafés, mais aussi de toute autorité véritable.

Il y a une autre profession qui reçoit un entraînement systématique à regarder les gens dans les yeux, ce sont les hôtesses de l'air et stewards. Vous l'aurez remarqué, vous n'entrez jamais dans un avion sans qu'on vous accueille avec un bonjour personnel et poli. Or les hôtesses et stewards ont parmi leurs missions celle de maintenir l'ordre. À chaque vol, ils doivent obliger certains passagers à attacher leur ceinture, éteindre leur portable ou cesser de boire, et donner l'impression d'être capables de faire respecter les consignes de sécurité en cas de pépin. Les choses pourraient vite mal tourner, dans cet espace confiné, si les normes n'étaient pas respectées et que les gens se mettaient à agir à leur guise.

On leur demande également une prestance, ils se tiennent droits, la tête haute, les épaules basses. Jamais de mains dans les poches ni de démarche traînante. Cheveux courts ou attachés, aspect soigné. Et ils portent un uniforme qui est resté remarquablement similaire au fil du temps et au gré des compagnies: il est toujours urbain et élégant.


Pourquoi si peu de variété parmi tant de compagnies? Pourquoi pas des personnels navigants en jeans et t-shirts, plus proches des gens...? En robe à frou-frous, plus sexy...? En rangers et treillis, plus pratiques en cas de pirates de l'air...? Pourquoi ne pas vous tutoyer et vous appeler par votre prénom...? Vous offrir un petit show...? Ou s'épargner tant de manières et donner un coup de sifflet à celui dont le sac dépasse...?

Un costume urbain et élégant  —comme le tailleur et le costume cravate—, associé à des manières raffinées, évoque de manière atavique une personne de classe dirigeante. C'est la raison pour laquelle on demande cette tenue dans tous les métiers où l'on doit avoir l'air "respectable". C'est ancré dans nos neurones: des vêtements de qualité font riche, donc propriétaire; trop élégants pour l'activité physique (en apparence) font chef qui est au dessus du sale boulot; et stricts, ils disent "je ne suis pas là pour vous séduire", et suggèrent donc qu'on n'hésitera pas à se rendre antipathique s'il le faut.

La prestance et les bonnes manières confirment le vêtement. Vous avez déjà croisé un garçon à qui on a mis un costume pour vendre des assurances et qui met ses doigts dans son nez? —Effet annulé. Enfin, le regard assuré indique qu'on est sur son terrain. Toute cette tenue est donc le cocktail parfait pour dire: "Voici un bel avion d'une compagnie prestigieuse. Nous sommes les maîtres et nous vous donnons la bienvenue."

Par contraste, une personne au comportement vulgaire et en vêtements d'action va plutôt suggérer à nos neurones programmées: "Je suis l'homme de main du patron. Vous ne me respectez pas, mais vous êtes bien obligé de me craindre."

Incidemment, Balenciaga Uniformes conçoit les tenues de plusieurs compagnies aériennes. C'est très personnel, mais j'espère que dans quinze ans, quand il sera temps de renouveler celles de la Police, on leur demandera d'arrêter le look de garde-chiourme, et de réinventer les pervenches et les hirondelles.

jeudi 19 janvier 2012

Je suis amoureuse

La première fois que je l'ai vue, je m'en souviens comme si c'était hier. C'était un matin dans les embouteillages, à Santiago. J'étais au volant de ma Corsa, parmi les autres voitures toutes pareilles dans la grisaille immonde de l'avenue Vespucio. Et soudain, elle était devant moi. Avec son étrange couleur crème et son phare arrière tout rond et haut perché. Un galbe saisissant, une silhouette courte, rebondie, vive, parfaite. Je la suivis: il fallait que je sache au moins comment elle s'appelait...!

Alfa Romeo MiTo. Je n'aimais pas son nom, j'étais dépitée. Assise à mon ordinateur, une heure plus tard, devant un site de voitures où je n'avais jamais mis les pieds, je lisais le détail de ses spécifications. Une sportive. Un moteur puissant, un mode Dynamic pour faire de la vitesse. Moi mes tendances auraient dû m'incliner vers une Toyota Prius. Que dis-je: vers le TGV! Je n'aime pas les voitures! Je sais à peine conduire, je me suis installée en centre ville pour ne pas avoir de voiture. (Vous savez, les gens qui vous donnent des envies de meurtre, sur la route, parce qu'ils ne peuvent pas dépasser le 40? —c'était moi.) Bref, qu'est-ce que je faisais là, à perdre mon temps à m'intéresser à cet engin de course égocentrique et mal nommé?

La réponse était toute simple: elle était belle. Belle, belle, belle. Belle à désirer la revoir tous les jours. Belle à vous rendre heureux rien qu'à la regarder. Belle à en oublier toute raison. Je regardais les photos sur le site, et elles ne lui rendaient pas justice, elle était encore plus belle en vrai. Je la croise souvent maintenant que je vis en France, et l'émotion est toujours là...



Je sais ce que vous allez me dire: "Oui, elle n'est pas mal, mais moi je préfère...". Quand on parle de beauté, il y a deux choses différentes, en réalité.

Il y a une harmonie de forme, de couleur et d'autres caractères qui constitue une approche d'un canon esthétique relativement unanime. C'est l'une des fonctions de base d'un designer, celle que Raymond Loewy a baptisée l'esthétique industrielle, et qui lui a fait prendre des machines toutes disgracieuses pour les réarranger en une forme élégante et désirable.

Il y a une certaine universalité dans cette définition de la beauté: le Frigidaire et le paquet de Lucky Strike redessinés par lui ont eu un énorme succès, et je ne crois pas qu'il se trouve quelqu'un pour dire que les versions antérieures étaient mieux.


Mais il y a cette autre définition, qui n'est pas son opposée ni sa concurrente mais plutôt une sorte d'effet collatéral aléatoire de la première. C'est la beauté qui vous touche, vous, et pas votre voisin. C'est celle qui va jusqu'à l'individu en passant par le désir et l'amour. Ce n'est plus la beauté qui suscite le désir, mais la personne qui éprouve la beauté.

Souvent, cette définition de la beauté rejoint le première. Les choses unanimement belles suscitent plus facilement l'amour, c'est un fait. Souvent aussi, un objet séduit pour d'autres raisons: ses fonctions, son identité. Si les produits Apple ont des millions d'amoureux passionnés, c'est probablement parce qu'ils réunissent tout ça à la fois; ils sont en quelque sorte l'équivalent inanimé d'une star de cinéma qui serait à la fois ravissante, douée et premier rôle dans un grand film.

Mais il y a des choses qui nous séduisent par leur beauté, et bien que celle-ci parfois n'existe que dans nos yeux. C'est une attirance qui naît d'un ensemble de traits physiques, parce que ceux-ci évoquent en nous des traits de caractère correspondants, et qui nous touchent. Miroir de nous-même ou complément rêvé, coup de foudre ou attachement lent, cela se passe pour les choses comme pour les personnes. Cette autre définition de la beauté, on pourrait dire que c'est l'aspect esthétique de l'amour.

Un designer compétent n'éprouvera aucune difficulté à concevoir un produit beau selon la première définition, mais aucune recette ne lui garantit de faire un objet qui touche ainsi au cœur, ne serait-ce que d'un petit nombre de personnes. Puisque c'est si personnel, si subjectif, si inattendu...

Mais pour cela même, j'avancerais qu'il existe une recette inverse. Ne pas être personnel, dessiner non pas pour soi mais pour un portrait robot du consommateur attendu, c'est peut-être la garantie de ne pas toucher un jour un cœur qui bat. Entendons-nous bien, ce n'est pas du designer que le consommateur tombe amoureux, c'est bien d'un produit, qui lui dit des choses que le designer n'avait probablement pas imaginées. Mais si celui-ci y avait mis un peu de son âme, alors il n'a pas pu manquer d'y mettre une âme. Et l'âme, il n'y a pas vraiment d'autre filtre d'amour.

jeudi 12 janvier 2012

Solide vaisselle

Il y a quelque temps, je suis tombée sur ce projet de "liquide vaisselle solide", imaginé par les designers de Capital Innovation et adopté par Spontex en 2004.



Le concept m'avait paru excellent, et basé sur une analyse de besoin pertinente. Comme les designers l'expliquaient, le liquide vaisselle est adapté à la "plonge", mais pour la vaisselle d'appoint à l'eau courante qu'on pratique aujourd'hui, il oblige à un constant jonglage de trois objets sur deux mains et entraîne un grand gaspillage de produit. D'où la recherche d'un produit vaisselle accessible d'une seule main et dosable au plus juste, et sa solution: le produit solide sur un support stable au bord de l'évier.


Emballée par l'objet, mais ne le trouvant pas sur les étals, je dénichai une alternative: un cube de savon de Marseille.

Ça marche très bien. Le savon de Marseille s'avère un produit parfait pour dégraisser la vaisselle. Et le fait de frotter son éponge directement sur le cube, sans avoir à le prendre en main, économise effectivement des gestes et du temps.

Quelques points en faveur du savon de Marseille par rapport à ce produit: c'est économique (environ 75 centimes les 100g), compact (mon cube de 400g a déjà deux mois), écologique, peu agressif pour la peau et d'un parfum délicieux. J'ai lu pas mal de commentaires d'utilisateurs de Vaisselle Express se plaignant de ne pas pouvoir faire tremper: je n'ai pas eu ce problème, c'est peut-être parce que j'utilise une brosse, ce qui permet de déposer du savon sans se mouiller les doigts, comme avec un flacon.


Un impératif, cependant, si on ne veut pas perdre l'avantage du "troisième bras": un support stable pour le savon. Après quelques recherches, j'ai retenu ce porte-savon en loofah (chez Saponaire), qui le maintient relativement adhéré, et ne glisse pas sur l'évier. Mais ce n'est pas non plus d'une stabilité parfaite, et puis l'autre inconvénient, surtout pour la brosse, c'est qu'on a pas mal de projections autour.

En fait, moi, ce dont cette expérience me donne envie, c'est d'un évier qui serait prévu pour ça. Vous savez, comme tous ces lavabos qui "savent" que vous allez probablement placer une savonnette sur le rebord et vous mettent un petit porte-savon en creux. Personnellement, j'aime beaucoup; c'est streamline, c'est propre, c'est attentionné.

Mon évier idéal aurait deux creux porte-savon juste de la taille d'un gros cube de savon de Marseille standard. La profondeur serait du tiers de la hauteur du bloc, soit 2,5 cm, pour que celui-ci soit à la fois bien maintenu en place, et facile d'accès même quand il est presque fini. Une rigole sur toute sa longueur permettrait l'écoulement de l'eau et faciliterait le nettoyage. Dans les maisons où vivent des droitiers et des gauchers, on pourrait mettre un savon de chaque côté, mais sinon, le creux inutilisé pourrait abriter un flacon-pompe taillé aux mêmes dimensions et destiné à contenir du vinaigre, un parfait complément pour le détartrage et la désinfection. Enfin, un rebord autour de la plate-forme éviterait toute projection vers le plan de travail.


Bien sûr, les lavabos avec porte-savon intégré, c'était avant les années 80 et l'invasion des Pouss'Mousse. Ces trente dernières années, la tendance était aux produits aux formes constamment renouvelées, et dont une partie de l'action était menée par un packaging sophistiqué —comme Vaisselle Express et son support à ventouse. Dans ces conditions, intégrer des fonctions dans les meubles était contre-productif. Mais cette tendance s'essouffle en nos temps de retour au naturel, et un nombre grandissant de consommateurs sont attirés par des produits simples et des contenants pérennes.

jeudi 5 janvier 2012

Deux bonnes sources

Si vous me lisez, c'est probablement que le design vous intéresse. Alors je voudrais partager avec vous mes deux sources d'information préférées dans ce domaine, si vous ne les connaissez pas déjà. Il faut être angliciste, mais elles valent tous les détours.

La première c'est DnA: Design And Architecture, par Frances Anderton. Programme de la radio californienne KCRW depuis 2002, il est disponible sous forme de podcast sur sa page et sur iTunes. Chaque mois, c'est un panorama de l'actualité du design plus un dossier sur un thème saillant, le tout constitué essentiellement d'interviews. Qu'il soit principalement centré sur Los Angeles, et que le support audio soit un peu frustrant pour un sujet aussi visuel, ne m'empêche pas d'en retirer une montagne de vues nouvelles à chaque épisode.

J'aime beaucoup écouter Frances Anderton. J'ai tout de suite été frappée par son accent anglais parmi l'accent américain de la plupart de ses invités: c'est en effet une Anglaise tombée amoureuse de Los Angeles, après être passée par l'Italie et l'Inde. Pour moi qui de mes voyages ai gardé une affection particulière pour l'esprit anglais et le thé au lait, c'était une boucle sympathique. Ses interviews montrent une grande culture, discernement et précision; elle ne laisse pas de points importants sans réponse, et en même temps elle sait mettre à l'aise ses interlocuteurs pour qu'ils livrent leurs points de vue les plus intéressants.

(Photo Marc Goldstein)

Mon autre grande source, c'est la section Art & Design du New York Times. J'ai souscrit un abonnement (gratuit) à tous les articles libellés "design" du journal, qui me les envoie par email, c'est bien pratique. Je ne crois pas avoir besoin de présenter le New York Times; quand on s'est habitué aux canons de rédaction de ses journalistes —précision, exhaustivité—, on peut avoir du mal à lire d'autres journaux.

Ma préférée parmi ces auteurs est Alice Rawsthorn. Une éminence dans son champ, elle est la critique design en titre de l'International Herald Tribune (l'édition mondiale du NYT), où elle publie une chronique chaque lundi. Je la lis donc grâce au système précité; on en trouve également la liste complète sur son site, y compris des articles pour d'autres médias. Ses articles rigoureux et bourrés de références m'ont été précieux en tant qu'autodidacte. Au fil des années, ils m'ont appris ou mise sur la piste d'un nombre incalculable de choses. Mais c'est aussi pour son style que je l'apprécie, et en particulier pour ses prises de position. Quand elle n'aime pas quelque chose, sa verve a de quoi faire mourir de honte les designers concernés, et de rire les lecteurs.

(Photo Fred Ernst)

Hasard ou fatalité, mes deux sources d'information favorites sur le design sont deux Anglaises. L'humour et la sévérité, traits typiques de ce grand peuple, sont peut-être aussi des instruments particulièrement aptes à regarder le design.