jeudi 29 décembre 2011

Impact minimal

Les hôtels de front de mer, en général, ce n'est pas très discret. Sous prétexte d'offrir le plus possible de vue sur les flots, ils gâchent la vue sur la côte.

L'hôtel Altiplánico, où je viens de séjourner, en Patagonie, réussit au contraire à se fondre dans le paysage au point qu'on ne le distingue que de près.


Le bâtiment est encastré dans le flanc de la colline, ses toits sont couverts de prairie.


Ses façades sont tapissées de "briques" de terre crue directement coupées du sol avec leur herbe encore dessus. Une technique utilisée, paraît-il, par les anciens colons.


Il n'y a donc guère que les baies vitrées des chambres et des salons comme élément "étranger" à la nature environnante. (Les rectangles aux motifs géométriques sont les fenêtres des salles de bain.)


L'hôtel comporte trois étages, desservis par un couloir en pente: deux longues lignes de chambres et au-dessus, la réception, avec restaurant, salon et boutique.



Tout cela produit un effet d'impact visuel minimal sur le paysage sauvage du lieu. Mais l'inverse est vrai aussi: à cet endroit, le climat est rude, et le vent en particulier souffle très fort. Grâce à cette architecture qui ne fait émerger que les baies vitrées, à l'intérieur on jouit de la vue sans rien sentir des rafales ni du froid... pour une facture énergétique réduite.



Le tout est complété par une décoration sobre, basée sur le béton brut, le métal rouillé, le verre coloré, et des matières locales comme l'ardoise, le bois de ciprès et la peau de mouton.

Altiplánico est une petite chaîne de quatre hôtels situés dans les sites naturels les plus remarquables du Chili: la Patagonie, le désert d'Atacama, l'Ile de Pâques et la vallée du Maipo. Chacune des constructions est particulière et basée sur le même principe d'harmonie maximale avec son environnement. Remarquablement, les architectes et décorateurs ne sont autres que les propriétaires, le ménage Maite Susaeta et Juan d'Etigny, qui ne sont pas connus pour des réalisations antérieures et qui ont créé le premier hôtel —celui d'Atacama— en l'an 2000 à partir de leur propre désir d'un lieu pour profiter pleinement du silence et de la beauté du désert.

Dans le même pays, mais à l'opposé de ces préoccupations, voici le complexe touristique San Alfonso del Mar, non loin de Valparaíso. Je vous le montre sans hargne, il a été construit par mes ex-beaux-parents, des gens que j'aime beaucoup et qui y ont mis des trésors de créativité. Ils ont par exemple inventé, l'océan Pacifique étant impropre à la baignade à cet endroit, cette piscine géante qui figure aujourd'hui au livre des records, ...quoique au nom du promoteur.



Marques, Garcés & Asociados n'a jamais eu l'écologie très présente à l'esprit —ce n'était pas de leur génération—, mais par contre, ils avaient une grande préoccupation esthétique. Oui, ça paraît difficile à croire. Comment des architectes esthètes peuvent construire un ensemble aussi disgracieux me paraît une leçon intéressante à méditer.

Il y a d'abord eu le promoteur (le même qui s'est attribué la piscine). Vous voyez le bâtiment du milieu sur la pointe, le plus petit, le seul qui a une forme régulière? C'est le dessin original, tous les bâtiments étaient censés être comme ça. Mais après sa construction, ce monsieur a décidé qu'il fallait toujours plus d'appartements pour le minimum d'argent, et exigé des transformations de plus en plus radicales. Je suis témoin du dégoût avec lequel elles ont été exécutées.

Et puis, il y a quelque chose qui va plus loin. Car vous me direz: même le petit triangle, ce n'était pas franchement beau. Je crois que c'est un certain aveuglement qu'on peut avoir sur sa propre création. On est content d'avoir une commande, on a de bonnes idées pour répondre aux contraintes, on est emballé. Et parfois, on n'a pas envie de voir tout l'impact qu'on va provoquer.

jeudi 22 décembre 2011

Tribulations d'une testeuse

En vacances à Santiago du Chili, et comptant quelques amis dans l'équipe qui tourne actuellement No, le nouveau film de Pablo Larraín sur le plébiscite de Pinochet en 1988, j'ai demandé la permission de passer une tête sur le plateau pour observer comment ça se passait.

J'ai dû rôder une petite heure autour du set, à prendre des photos des camions de matériel et écouter les échanges verbaux des techniciens, avant que l'on ne vienne me demander si par hasard je ne m'aventurerais pas à jouer les figurantes dans la scène qu'on allait tourner.
L'appel des projecteurs m'a toujours laissée sourde, et l'idée d'être filmée à faire un truc qui n'est pas moi, pour tout dire, me glace un peu les sangs. Mais en même temps: si je voulais me faire une idée du fonctionnement d'un tournage, quelle meilleure manière que d'y participer...?
Et me voici, exploratrice sacrifiée sur l'autel de sa curiosité, affublée d'un costume années 80, me préparant à feindre dix-huit fois de suite de débattre avec mes camarades sur les orientations de la campagne. (Un canelé pour qui reconnaîtra l'acteur derrière moi, au fait.)

C'est plus fort que moi, je suis une testeuse. À mes risques et périls, il faut que je me mette dans les trucs pour les connaître.
Si un objet m'intéresse, il faut que je me le procure et que je l'essaie, que je comprenne comment il marche ou pourquoi il ne marche pas, que je distingue à qui il sert et à qui il ne sert pas. Si un système me tente, il faut que je l'expérimente, que je voie quels bénéfices j'en tire et quels inconvénients, avec quoi il est compatible et avec quoi il ne l'est pas. Si un discours me séduit, il faut que je l'éprouve contre la logique, contre les discours opposés, contre les témoignages et contre mon observation.
C'est usant, comme manie. Pour moi et pour ceux qui m'entourent, ce qui me revient à la figure aussi, à la réflexion. Imaginez un peu la tête de mon mari, quand je lui ai dit qu'en plus d'une écharpe porte-bébé, je voulais acheter une bandoulière à anneaux, une autre sans anneaux, et aussi un meï-taï, alors que je gagnais à peine de quoi soutenir le budget restaurant de la maison. Dans mon premier billet de mon premier blog, je rendais hommage à sa patience face à mes expérimentations; je voulais surtout dire que je sentais à quel point je le dérangeais. Je paraissais perpétuellement insatisfaite, une personne négative, qui ne voit que les défauts.
C'est sûr: j'ai une perception des défauts sensiblement plus aiguë que la moyenne. Alors, quand quelque chose m'incommode, il faut bien que j'aille voir ailleurs si je trouve mieux. C'est l'origine de ma passion pour les voyages. Vous passez une frontière, et vous découvrez que d'autres ont des solutions pour vos problèmes. Certaines croyances changent, sans que les résultats soient pires. Le pédiatre français me dit: "Mettez-lui du beurre dans sa purée, pas d'huile pour le moment", l'espagnol sur le même ton me dit exactement l'inverse. Moralité: c'est peut-être vous qui vous embêtez pour rien, et m'embêtez dans la foulée. Les autres pays sont de gigantesque centres d'expérimentation gratuite à qui veut bien les regarder. La maison de votre voisin aussi, à la rigueur.
Moi aussi j'ai longtemps cru que j'étais une négative, et tenté de brider cette manie dépensière de vouloir tout tester. Mais le temps m'a fait changer de perspective: j'ai compris que j'étais une designer, et que tester devait être mon activité principale. Tester les idées des autres est bien sûr essentiel, l'équivalent de la culture musicale pour un musicien. Mais tester ses propres idées est le B-A BA de la création. Jamais je n'ai réussi du premier coup un prototype. Mais je ne regrette pas tous ces essais manqués, ce sont ceux qui m'apprennent le plus, et sans lesquels la version qui marche ne serait jamais arrivée.

Comme déranger m'inhibe, j'ai préféré vivre seule; —avec mes enfants, s'entend, car non seulement ils ne paraissent pas dérangés, mais ils forment les conditions difficiles sans lesquelles aucun test n'est vraiment valable. Avant je testais comme une voleuse, ou de biais, sans m'en rendre compte. Maintenant j'y consacre la plus grande partie de mon temps et de mon budget, et j'en vois les fruits. 

Maintenant, quand on a une idée pour un objet, il faut le fabriquer. Et quand on n'a pas eu de formation technique, ça peut être cocasse. Quand j'ai voulu me fabriquer un bureau sur mesures, il y a des années, avec quatre pieds et une grande planche, j'ai été bien surprise de voir ma planche s'incurver comme un hamac! Plus tard, ayant imaginé des objets en tissu, j'ai acquis une machine à coudre et tâché d'apprendre les rudiments. La confusion d'une nulle en maths devant un patron qui ne veut pas ressembler à l'objet, je vous laisse imaginer. Dans les moments de découragement, je me répétais les vers de Boileau: 
Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse et le repolissez
Remarquez, on a des surprises aussi avec les professionnels. Un jour, pour tester une idée de vaisselle, j'ai pris avec mes dessins la route de Pomaire, fameux village d'artisans potiers près de Santiago. Une dame m'a dit oui tout de suite et noté consciencieusement ce que je lui indiquais. Prudente, j'ai passé une deuxième commande identique à un autre artisan. La semaine suivante, la dame me livra quelque chose de très joli, mais qui n'avait rien à voir avec ce que je lui avais demandé. Quant au monsieur, il s'échappa de sa boutique en me voyant arriver, ayant apparemment eu un petit coup de flemme. Dépitée, je me mis à la recherche de quelqu'un "de sérieux". Un grand atelier réalisait des poteries pour des supermarchés; le directeur discuta longuement avec moi des mesures exactes de mes prototypes et même des perspectives de vente. Je me félicitai d'avoir enfin trouvé. La semaine suivante, malheureusement, les pièces s'étaient cassées au four. Celle d'après, idem. Et encore la suivante. Mais enfin, lui demandai-je, comment faites-vous avec vos clients? Je n'ai jamais su, il s'est fait mettre aux abonnés absents.

Vous savez comme on dit que les artistes sont souvent durs à vivre? Obnubilés par leur art, ils consacrent un temps infini à travailler leurs brouillons, sans toujours savoir si le succès viendra. Ils testent, eux aussi. C'est un sacrifice qu'ils font pour apporter au monde de nouvelles œuvres qui le mèneront plus loin. Moi je fais des objets, c'est un peu moins vénérable, mais ça peut être utile si on le fait bien. Ayez pitié des créateurs: c'est pour vous qu'on teste.

jeudi 15 décembre 2011

Monodose

Je pars dans quelques jours pour le Chili, et comme d'habitude, la partie la plus frustrante des bagages, c'est la trousse de toilette. J'ai bien mis mon shampooing et mon huile dans de petits flacons ad hoc, j'ai bien acheté un mini tube de dentifrice et récupéré un échantillon de crème pour les mains, mais il me reste encore douze dilemmes. Mon déodorant à billes, je l'emporte, avec la place qu'il prend, ou je m'en passe, au risque de le regretter? Et mon parfum, que j'adore mais qui occupe un hangar?

J'aurai peut-être une ou deux soirées habillées: est-ce que ça vaut le coup d'emmener ces fards que je ne mets pas au quotidien? Et puis, comment ma peau va réagir au climat, là-bas? J'aimerais prendre un éventail de produits, pour parer à tout, mais ça va trop me charger. Ça a l'air de petites choses, comme ça, mais avec leurs contours rigides et irréguliers, le volume monte très vite, et moi je trouve absolument mortifiant de correspondre au cliché de la nénette qui a trop de bagages.

Et d'un autre côté, si je ne prends que "l'essentiel", à tous les coups je vais me faire piéger. J'ai assez voyagé pour en tirer la leçon: l'essentiel, il est différent selon les circonstances. Et quant à compter sur les pharmacies du lieu pour remplir les trous, on ne m'y reprendra plus... 

Qu'est-ce que ce serait chouette, si je pouvais m'acheter tous ces produits, les usuels et les au cas où, en petits sachets monodoses! Quelque chose comme des échantillons, sauf qu'il y aurait de tout, et je n'aurais pas à faire des pieds et des mains pour qu'on m'en file, juste les choisir et les acheter, comme n'importe quel produit.


On dirait que ne suis pas la seule à avoir ce désir. Voici sur un forum une personne qui demande où acheter des échantillons de parfum, car, explique-t-elle, elle aime beaucoup en changer tous les jours. Et si vous regardez en bas, vous remarquerez qu'il existe des dizaines d'autres fils sur le même thème.

C'est l'autre grand motif de demande de monodoses: on veut pouvoir utiliser un produit juste une ou deux fois, pour le tester ou pour un caprice. Si souvent on se retrouve à acheter un produit en se fiant à son packaging, sa pub ou son parfum, et puis après il ne nous va pas, et il reste là en souffrance dans la salle de bain, on se force à le finir ou alors on le jette encore plein, en tout cas du gaspillage et pas du plaisir. Alors qu'il serait tellement plus agréable, pour le même prix, de repartir avec un éventail de choses à tester sans remords, et racheter, en grand ou en petit, au gré de notre envie...

Vous forcer à dépenser 5, 20 ou 50 euros dans un objet qui ensuite restera en votre possession, c'est vous coller sur les bras un engagement, si petit soit-il. Des monodoses à 50 cents ou 2 euros, ça s'apparente plus à la location, c'est garder sa liberté d'utiliser et puis de partir, et de revenir si vous voulez. Quant à la culture des échantillons, telle qu'elle se pratique à l'heure actuelle, avec sa sélection aléatoire et sa distribution à discrétion du vendeur, elle me rappelle plutôt les sinistres jeux d'influences des régimes totalitaires.

Il y a un troisième motif pour acheter de monodoses, c'est les fins de mois difficiles. Ça peut paraître paradoxal, puisque les petits formats sont toujours comparativement plus chers, mais c'est ce qui se passe, parce qu'en pratique c'est quand même salvateur.

Enfin, les monodoses permettent de se passer de conservateurs. Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à rejeter ces substances chimiques qui maintiennent les produits en état plusieurs mois après ouverture. Après les parabens, d'autres sont sur la sellette; les marques vont devoir trouver des solutions pour répondre à cette nouvelle exigence. Certaines offrent déjà des produits sans conservateurs en dosettes stériles, mais il faut encore acheter tout un paquet. Pourquoi ne pas faire d'une pierre deux coups?

D'aucuns s'étonneront peut-être qu'on vante les monodoses à l'heure où l'on prend conscience des méfaits du jetable. Alors regardons "l'image plus grande". Emporter mes monodoses en voyage au lieu de tous mes machins me ferait réduire le volume et le poids de mes bagages à transporter. Mais pensez surtout au volume de déchets épargné par rapport à tous ces produits qu'on a fini par jeter à moitié pleins. Les cosmétiques sont en pratique souvent monodose, mais dans des emballages de fous. Alors, autant les faire le plus anodins possibles: fioles de verre ou sachets papier doublé polyéthylène, ce sera une économie.

Financièrement, la monodose devrait être intéressante pour un fabricant. Le consommateur accepte un prix proportionnellement beaucoup plus élevé, comme on peut déjà le constater avec les formats voyage existants. Pour mon dessin, j'ai calculé les prix de la manière suivante:
  • Le shampooing familial de Melvita, prix normal 19,50€ les 1000ml, soit 19 cents pour 10ml. Je crois que je serais prête à le payer 50 cents pour l'essayer ou voyager tranquille, soit 264% plus cher.
  • Le masque purifiant de Caudalie, 17,90€ les 50ml, soit 1,79€ les 5ml: à 3€, 167% plus cher.
  • Le rouge à lèvres Couleur Caramel, 13,90€ le bâton de 3,5g, soit 39 cents les 100 mg: à 1€, 256% plus cher.
  • Le parfum Idylle de Guerlain, 107€ les 100ml, soit 2,14€ les 2ml: à 5€, 234% plus cher.

Une marge plus importante, donc. Mais je soupçonne par ailleurs que la possibilité d'acheter petit pourrait attirer de nouveaux consommateurs. C'est le principe de la marque de vêtements de luxe qui lance un parfum, produit proportionnellement abordable, pour toucher une clientèle nouvelle. Il y a des gens pour qui 20€ est un investissement trop risqué, mais qui vous testeront pour 2€, et, qui sait, pourraient revenir acheter la version grand format si votre produit les convainc vraiment.

Mais bien sûr, il faut convaincre. Et dans un monde où tous les cosmétiques seraient disponibles en monodoses, les pions se répartiraient autrement sur l'échiquier. À même de tester à leur guise, les consommateurs délaisseraient inévitablement les produits médiocres au profit des efficaces, les surévalués au profit des prix ajustés. Une opération publicitaire massive ne suffirait plus à faire vendre un produit en quantités rentables, si celui-ci n'était pas réellement satisfaisant derrière.

Les marques qui font plus reposer leur succès sur la force de leur communication que sur la qualité de leurs produits seront donc prévisiblement rétives à la monodose. Celles qui croient avoir un bon produit à un prix correct pourraient, au contraire, y voir un bon moyen de se faire connaître.

jeudi 8 décembre 2011

Affres du classique

Pour écouter de la musique classique sur les supports actuels, il faut vraiment le vouloir.

Déjà, les pochettes des disques, c'est pas génial:



Entre les reproductions de tableaux plus ou moins d'époque et les portraits de pianistes, on est servis niveau graphisme.

Et puis, en classique, on a un tas d'informations à faire passer: le chef d'orchestre, l'orchestre, l'autre orchestre, les solistes, et puis quand même le compositeur, les œuvres, et en plusieurs langues pour que tout le monde comprenne... en général étalé sans beaucoup de finesse en plein sur la couverture.

Ce n'est pas parce qu'on a des oreilles qu'on ne peut pas avoir de l'œil, quoi!

Mais le pire n'est pas là. Il est ici:



Voilà ce que ça donne sur iTunes. C'est un bazar innommable.

Vous voyez l'album de Paul Simon en haut: chaque chose à sa place, une touche de fantaisie, tout va bien. Le format est pensé pour lui.

Et vous voyez en dessous mon coffret des œuvres pour orchestre de Ravel par Pierre Boulez: coupé en petits morceaux, mis à l'envers, et bourré de texte répétitif qui ne tient pas dans les lignes. Ce texte, ce sont les mêmes informations qui sont déjà si mal agencées sur les pochettes: compositeur(s), œuvre(s), interprète(s)...

Qu'est-ce que vous pensez que je vais vous dire: qu'il faut la retirer, cette information? Pas du tout!
On a un outil informatique, autrement dit, capable d'organiser et de servir avec grâce tout ce qui est information: c'est bien le diable s'il ne peut pas faire mieux que le papier!

Par que, en l'état actuel, ce n'est pas parce qu'il y en a partout qu'elle est utilisable, cette information. S'il me prend l'envie d'écouter le Concerto pour la main gauche de Ravel, il faut que je me souvienne d'aller le chercher à "1-Concerto For The Left Hand" par "Philippe Entremont, Pierre Boulez, Cleveland Orchestra".

Non, ces données, il faut au contraire profiter de l'informatique pour les déployer, et donner ainsi à chaque élément d'une œuvre classique la place qu'il mérite, et dont moi consommateur j'ai besoin.

D'abord, une évidence. Pour le classique, celui qu'il faut mentionner sous la rubrique auteur, c'est le compositeur, et pas l'interprète. C'est comme ça que c'est classé dans les boutiques et dans les bibliothèques, c'est l'association logique. Ça vous permettra de voir sur votre écran tout ce que vous avez de Mozart en cliquant sur l'onglet correspondant, comme vous pouvez voir tout ce que vous avez de Led Zeppelin. Et ça évitera du même coup que, pour compenser, on vous recolle "Mozart" dans chaque titre de morceau.

Ensuite, bien sûr, il faut donner aux interprètes la place qui leur revient, en créant la rubrique correspondante. Mais attention: souvent, il n'y a pas qu'un seul interprète, dans un morceau classique: vous pouvez avoir tout à la fois un orchestre, un chef d'orchestre et un soliste. Eh bien, vive l'informatique: un sous-onglet différent pour chacun. Comme ça, si je veux, je peux mettre sous mes yeux tous mes morceaux chantés par Maria Callas ou dirigés par Karajan.

Autre information qui, faute d'être séparée, est à la fois répétitive et non recherchable: l'œuvre. Eh oui, dans les paramètres actuels, vous avez l'album et le morceau. Mais certaines œuvres font moins d'un disque mais plus d'un morceau, ou alors plus d'un disque. Avec un onglet séparé, je pourrais afficher mes versions de la Rhapsodie espagnole, et écouter Don Giovanni d'une traite.

Pour ne pas surcharger, on pourrait avoir deux modes de vue. L'un autour de l'album et de ses interprètes, comme pour la pop, et l'autre autour des auteurs et des œuvres. Ce dernier serait l'apparence par défaut dès que le disque serait estampillé "classique", mais on pourrait d'un clic passer sur l'autre mode pour afficher les informations relatives aux interprètes.

Ultime proposition: selon le pays dont vient votre disque, vous aurez tour à tour "Tchaïkovski", "Chaikovski" ou "Čajkovskij"; Casse-Noisette, The Nutcracker ou Lo Schiaccianoci. Nombreuses pochettes de disques font d'ailleurs état de ces versions divergentes en mentionnant les principales traductions. Une fois de plus: que l'informatique soit un progrès par rapport au papier, et qu'une base de données vous offre automatiquement la version du nom en usage dans votre pays, de manière à harmoniser votre bibliothèque musicale et ne pas fausser vos résultats de recherche.

Certains vont me dire que les vrais amateurs de musique, ils ne l'écoutent pas sur un iPod. C'est sans doute vrai, super pour eux. Moi je pense qu'il existe un public qui n'est pas un amateur très averti, qui se contente du MP3 pour sa consommation quotidienne, et qui se retrouve à écarter le classique de ses appareils, à cause de la salade de nouilles qui en résulte sur ses écrans. Je suis bien placée, j'en fais partie. Si j'étais à la place des musiciens, et de leurs producteurs, je crois que j'aimerais autant ne pas me couper de ce public pour une bête question d'informatique...

Et puis, soit dit en passant, si avec ces deux modes, on pouvait afficher et rechercher facilement les compositeurs, paroliers et instrumentistes des albums de pop, et mieux intégrer le jazz, les compilations, et toutes les musiques qui sortent du cadre... ce ne serait pas forcément un mal, non?

jeudi 24 novembre 2011

Le choix et la clarté

Voici un TED Talk qui m'a apporté une nouvelle lumière sur une question qui me préoccupe depuis toujours: ce qui guide nos choix. J'avais compris toute petite que nos critères de choix n'étaient pas toujours objectifs, ni évidents à nos yeux. Sheena Iyengar expose que notre approche de la notion même de choix est différente selon les cultures. Ses anecdotes sont passionnantes, et sa vision particulière du problème, révélatrice.



Sa dissertation m'a amenée à repenser à mes critères de choix. J'ai toujours cru que la clarté pouvait tout. Chaque choix, me disais-je, est motivé par une série de raisons: vérités scientifiques, contraintes techniques, conclusions logiques, considérations stratégiques, préférences personnelles... Les exposer clairement doit me permettre de convaincre mon interlocuteur de la validité de mon choix, ou bien, le cas échéant, il m'apportera les arguments qui me feront changer mon jugement.

En fait j'ai dû noter avec le temps que les gens ne répondaient pas très bien à cette façon de faire, en général. Je m'en suis mis à dos un certain nombre.

La dernière en date, ç'a été plutôt cocasse. C'était une Japonaise, précisément. Elle venait d'emménager en-dessous de chez moi, travaillait en horaires décalés, et se plaignait du bruit. Je lui ai répondu que j'allais faire de mon mieux, mais que l'immeuble était très mal isolé et que mes enfants ne pouvaient pas se transformer en momies, et que par conséquent je voyais deux solutions: qu'on demande ensemble au propriétaire de me poser de la moquette, ou qu'elle se trouve un appartement plus adapté à ses besoins. Ça me paraissait très raisonnable; elle m'a claqué la porte au nez.

Si les critères de choix sont fortement culturels, c'est sans doute aussi vrai du goût pour la clarté. À ce qu'on m'a dit, il est très malpoli au Japon de se dire les choses en face (là c'est sûr qu'avec ma franchise, on était mal barrées, avec ma voisine).

Aux Etats-Unis, les marques prennent souvent la peine de présenter de manière très détaillée les mérites de leurs produits. Les consommateurs doivent en général bien réagir à un discours qui cherche à convaincre avec des arguments rationnels. J'oserais avancer qu'ils y voient une marque de respect.

En France, j'ai l'impression qu'il y a une tendance inverse. Si on leur expose trop les choses, les consommateurs pensent qu'on les prend pour des cons. Donc il faut jouer en finesse pour faire passer le message, tout en ayant l'air de croire qu'ils le savaient déjà. On est beaucoup plus dans la persuasion.

Ce qui n'empêche nullement les uns, les autres et les troisièmes de se vendre à peu près n'importe quoi. Il faut juste adapter sa stratégie. Je ne sais pas si je pourrais être publiciste en France. En Asie, et bien qu'on m'ait souvent accusée de faire des chinoiseries, j'ai un doute plus sérieux.

jeudi 17 novembre 2011

Couverts

Voici un instantané de mon bac à couverts au moment de faire tourner le lave-vaisselle, soit 48 heures après le dernier:


Une remarque, quelqu'un? Oui: il n'y a plus de petites cuillères. Ça fait même deux repas qu'on a dû en laver à la main.

C'est parce qu'une ménagère de douze couverts, c'est pensé pour faire douze fois ça:


Alors que dans la pratique, un repas, ça ressemble souvent à ça:


Ou à ça:



Ou encore à ça:

Et puis il n'y a pas que les repas: il y a la préparation, la petite cuillère qu'on utilise pour mettre un petit peu de moutarde dans la vinaigrette et un peu de crème dans les épinards; il y a les yaourts de minuit et les compotes de six heures moins le quart; il y a le sirop pour la toux et la poudre antigrippe; et enfin il y a les accidents de poubelle, dont les mignonnes petites cuillères sont les premières à faire les frais.

Bref, si on me demandait de dessiner une ligne de couverts, j'y mettrais le double de petites cuillères.

... Et des couteaux qui coupent.

jeudi 10 novembre 2011

Mon séjour n'est pas un salon

Je n'ai pas de canapé, je n'ai pas de table basse, je n'ai pas de télé. Dans mon séjour, il y a: trois petits bureaux avec ordinateurs, une machine à coudre, une armoire pleine de matériel de dessin, peinture et bricolages divers, une étagère avec des livres et des jouets, et une grande table. Mon séjour n'est donc pas un salon mais plutôt une salle de jeu-bureau-atelier. Il reflète ce que les habitants de la maison, mes deux enfants et moi, faisons de notre temps libre.



Nous nous sommes fait une pièce sur-mesure, pensée pile poil pour ce que nous aimons faire, de manière à le faire au large, au beau et en compagnie: quoi de plus normal? Est-ce que tout le monde ne conçoit pas sa maison selon son goût et ses besoins? Tout le monde, bien sûr. Donc, si la majorité des séjours est un salon, avec canapé, table basse et télé, c'est parce que la majorité des gens, dans son temps libre, s'installe commodément pour zapper ou reçoit ses amis autour d'un verre. Comme dans Friends, par exemple.




Eh bien pourtant,  pas toujours.
Je vois des maisons où le salon, très beau et bien décoré, est à peu près toujours désert, tandis que les activités favorites des habitants se déroulent dans d'autres pièces. Typiquement, dans une famille, on met les jouets des enfants dans leur chambre. Ils grandissent; on y ajoute un bureau pour les devoirs, un ordinateur. Ils ne regardent pas les mêmes programmes que leur parents, chacun aura sa télé dans sa chambre. Les hobbies, —des grands comme des petits—, les chevalets de peintre, les guitares électriques, les vélos d'appartement, les établis de bricoleurs, etc. iront dans la chambre, dans un garage, un grenier, un placard, un coin où on ne les voie pas trop. —Enfin, on risque de les voir beaucoup dans cette pauvre chambre, qui était déjà plus petite et plus sombre. Mais le salon, lui, restera impeccable.

C'est vers le milieu du XXe siècle que tout un chacun s'est mis à posséder un salon. Avant, cette pièce de réception était l'apanage des demeures bourgeoises, tandis que les logis modestes n'avaient qu'une "salle" à tout faire. Est-ce cette origine élégante qui lui colle à la peau? On a eu beau ouvrir la cuisine dessus et y accueillir la technologie audiovisuelle, on continue à en bannir toutes ces autres activités.  Celles-ci se voient toujours reléguées à des pièces moins nobles, dans le même temps où le boom économique les rend toujours plus nombreuses.

Il y a plusieurs inconvénients à cet état de faits. L'un est un déséquilibre esthétique et pratique dans le logement: une pièce lumineuse et dégagée et d'autres trop pleines, gâchées dans leur apparence, et bien difficiles à nettoyer. L'autre, c'est que les gens ne sont pas ensemble.

On se plaint souvent des adolescents qui s'enferment dans leurs secrets, de la perte constante de la communication familiale. Mais comment s'en étonner, si chacun doit vaquer à ses occupations dans son coin? C'est bien de partager les repas, mais ce n'est pas toujours évident de transmettre toute son actualité personnelle dans ce contexte. Alors que si on est dans une même pièce en se livrant, qui à son hobby, qui à une tâche ménagère, on reste sans effort au courant de ce que fait l'autre, des difficultés qu'il rencontre, des fiertés qu'il remporte. Les enfants ont cet instinct et veulent toujours jouer à proximité des grands et leur montrer à tout bout de champ ce qu'ils font. Je crois que c'est une inspiration socialement très saine.

Une habitation ne devrait pas avoir de sanctuaire et de zone poubelle. Elle devrait tout entière être un sanctuaire, car chaque activité des occupants devrait être respectée. Ce qui signifie lui donner la place, l'équipement et la sociabilité qui lui convient par rapport aux autres.

Les pièces de la maison sont définies par l'activité qu'elles hébergent: la salle de bains pour se laver, la cuisine pour cuisiner, la chambre pour dormir. Le séjour en a une plus ouverte, c'est celle où l'on passe son temps. C'est la plus grande et la plus claire, pour que vous y fassiez ce qui vous tient le plus à cœur. Alors, pour vous, qu'est-ce que c'est? Voulez-vous y manger, y recevoir? Y faire de la musique, de la couture, de l'ordinateur? Tout ça à la fois? À vous de voir quelles activités y seront bien, et lesquelles seront mieux ailleurs. Sans a priori et sur mesure.

jeudi 3 novembre 2011

Un fond de robe mini

Je suis à la recherche d'un fond de robe mini, et je n'en trouve nulle part.

C'est quand même drôle: des mini-robes, on en trouve partout, or une bonne partie ne sont pas doublées. Moi j'en ai trois: une en maille côtelée de laine, une en molleton de coton et une autre en jersey de coton. Pas vraiment moulantes mais près du corps, un modèle très courant. Et qu'est-ce que ça fait, une robe comme ça, au contact d'un collant? Ça s'accroche, ça se tortille et ça remonte.

Personnellement, je trouve ça rédhibitoire. Je me suis donc mise en quête de quelques fonds de robe à porter dessous. J'ai fait le tour des boutiques, physiques et en ligne, et voilà ce que je retiens:
  • Beaucoup de marques ne font pas de fond de robe du tout.
  • La majorité des fonds de robe proposés est en grande taille, avec de la dentelle, couleur chair, blanc ou noir, et en matière synthétique.
  • La longueur est de 100 ou 90 cm (mes mini-robes, elles, en font 84).
  • Détail annexe: tous ceux que j'ai essayés avaient en plus trop d'ampleur pour mes robes droites.

Un seul modèle, trouvé sur une boutique en ligne belge, s'intitulait "mini". J'ai demandé la longueur exacte au vendeur, mais je n'ai pas eu de réponse. Parce que c'est marqué "+/- 10 cm au dessus du genou", mais avec les différences de longueur de cuisse d'une femme à l'autre, ça ne pèse pas lourd comme renseignement. Et ce n'est même pas très court, d'ailleurs.

Moi j'aurais aimé trouver quelque chose d'à peu près comme ça:


Bien court, donc mettons 80-82 cm pour une taille 36. Légèrement fendu sur le côté pour donner du jeu sans faire d'ampleur. En satin ou popeline de soie, tellement plus agréable! Et en jolies couleurs gourmandes: c'est si sensuel d'apercevoir un peu de couleur et de douceur sous un vêtement plus strict, —l'un des grands charmes de l'hiver...

Princesse Tam-Tam possède une ligne de nuisettes de soie intitulée Taquine qui me semble tout à fait dans cet esprit. (Je remarque que le choix de couleur sur le site est bien mince par rapport à ce que j'ai vu en boutique... Reflet d'un resserrage de la gamme?) Par contre, l'ampleur défend absolument de l'utiliser comme fond de robe.

Et si vous lanciez quelque chose comme ça, mesdames? Ça pourrait faire aussi nuisette, ou garder le haut apparent avec une jupe...

jeudi 27 octobre 2011

Complément aux minimalistes


Je viens de lire l’Art de la simplicité, le fameux livre de Dominique Loreau sur les vertus du minimalisme: vivre avec peu de choses, dans le raffinement du dépouillement, se défaire de tout ce qui n’est pas essentiel dans sa vie, à commencer par les objets qui encombrent sa maison.

Au même moment, TED sort un discours prononcé par le designer Graham Hill, fondateur du site écologiste Tree Hugger, sur le même thème. Nous vivons avec des tonnes de choses, constate-t-il, or vivre avec moins rendrait notre vie plus sereine, sans compter l’allègement sur l’environnement et notre porte-monnaie.
Puisque le sujet semble intéresser tant de monde, laissez-moi apporter ma contribution de personne obsédée par la simplicité depuis l’âge de raison.
Et mon avertissement, c’est que ce n’est pas facile. Moi qui avais vécu un an sur un modeste sac à dos et qui avais prévu d’élever mes enfants à la hippie, je me retrouvai à vingt-huit ans, à la veille de partir pour le Chili, à la tête d'une quinzaine de mètres cube dont il fallait faire quelque chose.
C’est là que je reçus le plus mauvais conseil qu’on m’ait jamais donné: “Vendez tout, me dit une relation qui travaillait dans le transport international. Ça vous coûtera moins cher de tout racheter là-bas.” C’était de la musique pour mes oreilles: recommencer à zéro! ne racheter que l’essentiel, des assortiments parfaitement calculés pour les besoins de ma famille, peu de choses mais idéales, et ne plus traîner tous ces trucs qui ne me servaient qu’à moitié, qu’on m’avait refilés, que je m’étais trompée en achetant, etc...
Commença alors un processus d’élimination qui se révéla extrêmement éprouvant. Des annonces passées, mes biens les meilleurs passèrent aux mains d’étrangers. Et l’argent qu’ils me laissaient en échange semblait tout d’un coup insignifiant. Le reste, il fallait le donner, j’avais l’impression de courir après les gens pour qu’ils acceptent mes affaires. Ce qui tant bien que mal m’avait servi et touché ma famille, n’était à leurs yeux que détritus. Même les gens sympathiques commençaient à m’être désagréables. Mon intimité était écorchée; à travers mes possessions, c’était ma vie qui était bradée et mise au rebut.
Le comble, c’est qu’un certain nombre de choses devaient malgré tout voyager avec nous.  Pour mon mari, il était hors de question de se séparer de sa bibliothèque, impressionnante collection de livres de plusieurs pays émaillés de nombreuses dédicaces. Ni, et c’était moins réjouissant, de ces innombrables boîtes poussiéreuses remplies de nos archives. 
Une fois au Chili, bien sûr, la prémisse se révéla fausse: racheter les choses coûtait très cher, et faute de temps, d’argent, et de connaissance des bonnes adresses, je me retrouvai entourée de trucs plus laids et inutiles qu’avant. C'était un énorme gâchis.
Ma première leçon serait donc: si vous voulez éliminer, allez-y doucement. La meilleure façon de vivre simplement est encore de filtrer ce qui entre chez vous. N’achetez que des choses qui vous plaisent énormément. Faites-vous prêter ou louer le reste. Et si vous devez acheter, prenez du basique et solide, qui fera facilement des heureux quand vous n’en voudrez plus.

Maintenant, quelles leçons tirer du point de vue du designer? Que peuvent offrir les entreprises à ces nouveaux adeptes de la vie épurée?
Graham Hill est allé à l’extrême de cette recherche en lançant en 2010 le concours LifeEdited. Il s’agissait de concevoir la rénovation de son studio, pour en faire un endroit record d’efficience au mètre carré. Les résultats sont assez époustouflants: les candidats ont réussi à lui proposer des solutions pour faire dîner douze personnes, en loger quatre, avoir son bureau, son home cinema, son vélo, et même un sauna, dans 38 m2 au style totalement épuré. Le lit se transforme, le bureau se déplie, le mur se déplace: aucun centimètre de cet appartement n’est laissé au hasard.
Mais si la prouesse est impressionnante, je ne crois pas qu’il faille chercher une solution commune dans le transformable, car c’est extrêmement cher, et en fin de compte peu versatile. Si dans quelques années ce monsieur veut déménager, cette installation tout intégrée pourra-t-elle facilement être recyclée pour l’usage d’une autre personne?
C’est le trait opposé que je développerais plutôt: le basique que chacun peut faire sien. Des objets qui remplissent une fonction la plus étendue possible, non pas par leur complexité, mais par leur simplicité. Flexibles autant que possible, mais s’arrêter quand ça se retourne en de nouvelles limitations. Il vaut mieux offrir une grande variété de choses simples, que chaque personne combine et recombine selon ses besoins. Les objets traditionnels sont souvent des modèles de cet équilibre, et il faut bien vérifier avant de clamer qu'on a inventé mieux.
Le deuxième trait que je développerais, c’est bien sûr la qualité. Un objet qui sert et ne perd pas sa valeur, c’est un objet de bonne qualité: matière, facture, réparabilité aussi. Fabriquez votre produit à l’endroit où vous le vendez, et offrez aux clients un bon service après vente. C’est cher, me direz-vous. Mais vous vous trouvez face à une clientèle qui veut acheter moins mais mieux, et qui s’implique dans ce qu’elle achète. Or il faut un œil exercé pour reconnaître un objet de qualité d’un objet cher par pur positionnement de marque, j’en ai fait les frais bien souvent. Alors communiquez, expliquez quels avantages on trouvera à payer le prix de votre produit. 
Troisième trait, pendant du précédent, c’est la beauté. Vivre sobrement, ne pas courir toujours après une nouvelle chose, c’est vivre avec de belles choses qu’on aime et qu’on n’a pas envie de remplacer. Tous les styles sont possibles. Les minimalistes ont tendance à apprécier le blanc-gris-noir aux lignes épurées, comme Dominique Loreau, mais on en trouve aussi des comme moi qui aiment les meubles ouvragés et les émaux de couleurs.
Quatrième: l’immatériel. Depuis le numérique, on a magnifiquement réduit ces cartons de photos et ces piles de CDs aux sempiternelles boîtes cassées. On peut encore développer l’offre de programmes audio-visuels et de livres. Quand on voyage, on vénère moins le papier...
Cinquième: la location et toutes ces façons d’être usager plutôt que propriétaire qui fleurissent depuis quelques années. Quelle libération! Tellement moins de tracas, et plus de variété! J’ai adhéré au site d’autopartage Autocool, et mes fils adorent qu’on “ait” trois voitures différentes. Et à la ludothèque Interlude, pour avoir accès à plein de beaux jouets sans avoir à les acheter.
Un domaine en particulier où j’aurais aimé voir une offre de ce type, à l'époque, ce sont les vêtements et couches pour bébé. Il y a un certain nombre d’entreprises dans les pays francophones, à l’heure actuelle, qui en proposent à la location, ou location avec service de blanchisserie. J’ai remarqué pour son design soigné Le Dressing de bébé. Mais je n’ai pas vu ce qui emporterait mon cœur, si j’étais demandeuse en ce moment: un kit tout compris mois par mois, et un interlocuteur local. Ces entreprises sont de toute évidence petites, et la conjoncture n’est pas propice aux investissements. Je me demande si une constitution en association locale, à la manière des organisations citées plus haut, avec un effort de communication basé sur la proximité, ne pourrait pas être une clé du développement.
Et pour le matériel informatique, téléphonique et audiovisuel, pourquoi pas une location de longue durée? Maintenance et renouvellement facile pour l’usager, récupération de composants pour le fabriquant. Peut-être les même coûts mais avec beaucoup moins de tracas et de déchets...
Voilà les quelques pistes qui me viennent à l’idée, devant cette croissante aspiration minimaliste.

jeudi 20 octobre 2011

Warszawa la graphiste

Je reviens juste d'un voyage à Varsovie, où j'ai appris que les Polonais avaient une réputation de graphistes hors-pair, et constaté de mes propres yeux qu'elle était bien méritée.

D'abord il y a eu cette balade à Praga, quartier bohème dans le vent, moins abîmé que les autres pendant la guerre et du coup, pas reconstruit. On y trouve de nombreuses cours intérieures où des graffitis originaux fleurissent sur les murs criblés de balles.


Ou cette drôle de rencontre dans le parc marsz. E. Śmigłego-Rydza, où il est écrit —en français— "Idée d'un Élysée souterrain dévoué ou aux Amis ou aux jolies femmes":



Il y a aussi les affiches. Varsovie en a un musée entièrement dédié, le premier au monde, le Muzeum Plakatu au parc Wilanów. Si vous aimez l'art graphique, je vous le recommande, il est magnifique. La seule chose que je regrette, c'est qu'ils n'exposent qu'une petite partie à la fois de leur immense collection; je suis un peu restée sur ma faim.

 

 


On y trouve les versions polonaises d'affiches de films qu'on connaissait, elles sont vraiment d'un autre niveau.

 

Un artiste qui m'a tapé dans l'œil, c'est Waldemar Świerzy:



Dans la rue aussi les affiches sont belles, dans l'ensemble. C'est d'autant plus remarquable que les rues de Varsovie sont plutôt vilaines: en fait, moi qui ai vécu au Chili, je leur ai trouvé un petit air de famille avec Santiago dans leur côté "pourquoi faire mieux si ça va comme ça". Mais là où les pubs chiliennes tendent à une platitude touchante, les polonaises se montrent osées, énergiques et variées dans leurs recours artistiques:





Mais le graphisme polonais ne s'arrête pas là. J'ai retrouvé ce TED Talk de 2009 de Jacek Utko. Ce designer de journaux a réussi à rapporter à ses clients une augmentation de circulation spectaculaire. Sa technique: connaître tous les aspects du fonctionnement de l'entreprise et du produit, être présent de A à Z. Sa leçon: donnez du pouvoir aux designers.




jeudi 10 mars 2011

Apanage

Je me promène trop contente avec mon nouveau jean. C'est un Levi's: taille 26, demi curve, straight legs, classic waist, délavé léger —tout ça; le seul détail pour lequel ils n'avaient pas de choix c'était la longueur de jambes, il a fallu faire un ourlet. Il me va si bien que j'ai l'intention d'y retourner bientôt en prendre un ou deux pareils mais d'une autre couleur. Et dans quelques années, quand ils seront usés, j'espère bien pouvoir entrer dans n'importe quelle boutique Levi's du globe et retrouver la même coupe, —ma coupe.

C'est sympa les marques qui font des collections qui changent à chaque saison. Mais on est un certain nombre d'hurluberlus à aimer surtout celles qui nous donnent l'assurance d'un choix exhaustif et permanent.

(P.S. Levi's malheureusement n'est pas pareil partout. Quelle déception j'ai eue, à Santiago du Chili, de découvrir qu'ils n'offraient que les skinny taille basse de la saison! Intéressante perspective, cela dit, que la possibilité de choisir soit l'apanage du développement...)

mercredi 9 mars 2011

The Cool Remainer

Chaque fois que je reçois le bulletin de la célèbre revue de design The Cool Hunter, il m'arrive la même chose: je reste ébahie par 1) la laideur, 2) l'uniformité, 3) l'inanité des trucs annoncés. C'est pas forcément tous à la fois; il y en a, c'est pas trop laid et pas trop inutile, mais on se demande bien ce que ça avait de spécial pour être sélectionné; mais il y en a d'autres où vraiment, je cherche ce qu'il peut y avoir à sauver.

Au menu ce mois-ci, il y a cette chapelle, à Acapulco, signée par Esteban et Sebastián Suárez:


La forme d'œuf carré, les murs qui partent dans tous les sens et le béton nu, je les mettrais à la fois dans laideur et uniformité. Vous discuterez peut-être le premier, je sais, tous les goûts sont dans la nature (revenez quand même me voir dans dix ans, quand en plus ce sera tout cra-cra).

Par contre, si vous arrivez à me dire que le béton nu et les formes obliques et asymétriques c'est original, vous m'excuserez, et vous irez regarder les magnifiques nouveaux bâtiments publics autour de votre ville et du reste du monde. Ce sont, un par un, les ingrédients par défaut de toute l'architecture spectacle contemporaine. Quelle monotonie!

Le commentateur du Cool Hunter, lui, il trouve des mots comme "éternel", "magique" et "mystérieux" en parlant de ce spoutnik. Je ne sais pas si c'était un stagiaire trop content d'écrire, ou un journaliste tellement chevronné qu'il n'ouvre même plus son cerveau.

Dans le même numéro, j'en décroche un autre qui réunit les trois qualités laideur, uniformité, inanité. Ça se trouve dans la section Arts, et ce sont des sculptures faites avec des objets en plastique recyclés, par un monsieur Robert Bradford.



C'est un ange plutôt criard et grossier, mais bon, comme je disais, tous les goûts sont dans la nature, et je ne doute pas que les siècles feront justice à sa qualité artistique. En tout cas, l'utilisation de demi pinces à linge pour tapisser les jambes est une des clés de la réussite. Essayez de l'imaginer sans, tout de suite ça perd son principal attrait. Et c'est quoi, cet attrait? C'est que c'est du recyclé.

C'est là qu'il aurait dû mettre "magique", le journaliste, parce que c'est vraiment un mot qui a des pouvoirs surnaturels. Vous prenez n'importe quel bidule cassé, et au lieu de le réparer, le refondre ou le laisser se décomposer, vous l'assemblez avec d'autres en un nouvel objet —j'ai vu des œuvres d'art mais aussi des fauteuils, des poufs... Peu importe que ce soit maladroit, bouffi, fragile, grattant, etc.: c'est recyclé.

Ben moi, je me suis fait un pied de lampe avec le moteur de ma machine à laver. D'abord il était très beau, en laiton, avec une belle boule brillante, ça donnait vraiment envie de le garder sous les yeux. Et ensuite, il a un côté "cool" parce que c'est une débrouillardise improvisée. Si je le glorifiais et que je le commercialisais à grande échelle, ça deviendrait absolument plouc.

Autres trucs intéressants en design, ce mois-ci, selon les chasseurs de cool:

— Des gens qui ont fait voler une maison avec des ballons d'hélium, comme dans Up!. Photo mignonne, avancée scientifique risible, beaucoup de thune pour rien. Inanité.

— Une déco pour une crèche à Tel Aviv, une autre pour un restaurant à Oslo: peut-être sympathiques quand vous y êtes, mais franchement bateau pour mériter le voyage. Uniformité.

— Et une boutique d'objets artistoïdes —gravures, t-shirts, voitures pour enfant détournées. Le genre de boutique qu'on utilise pour faire un cadeau rigolo quand on n'a pas d'inspiration mais où on n'achèterait jamais pour soi. Uniformité, inanité.

Les gens de cette revue possèdent une grille de caractères qui définissent le cool. C'est un style, et ils vous dégotent simplement tout ce qui correspond à ce style. Après tout, libre à eux, n'est-ce pas? Au fond, ce qui dérange les gens comme moi, c'est que ce style soit assimilé au design en général.

Toutes les fourchettes ont été conçues par un designer, mais pour être estampillées design, il faut qu'on leur ait donné une forme un peu asymétrique ou aérodynamique, souvent au détriment de la fonction. Vous trouvez des gens qui vous disent qu'ils ne veulent pas un canapé "design", qu'ils en veulent un "normal" ou encore "rustique". On a du mal à croire qu'une personne qui s'intitule "designer" ne donne pas dans ce style précis, surtout en français, où le mot a vraiment une association très forte entre la profession et le style.

Alors ce n'est peut-être pas plus mal qu'on ait proposé en français que les gens qui conçoivent des produits, de quelque style qu'ils soient, s'appellent plutôt concepteurs. Ça permettra peut-être aux jeunes gens de la profession de se libérer un peu de l'emprise de ce cool complètement éculé.