vendredi 25 février 2011

Contre la spécialisation


Un truc qu’il y a de sympa dans les meublés, c’est que ça vous donne l’occasion d’essayer des objets. Par exemple, dans celui que je loue actuellement, j’ai trouvé cet égouttoir de chez Ikea, qui au long de deux semaines d’utilisation m’a inspiré les réflexions qui suivent.


D’abord présenter l’objet : il se nomme “Boholmen”, il est en plastique grainé noir, et plus précisément qu’un égouttoir, c’est un égouttoir à assiettes. Il est fait pour égoutter des assiettes —douze— et rien d’autres. Pour les assiettes il est très bien. On les pose debout dans les fentes,  et ça sèche aussi bien qu’un autre —attention, il faut le faire dans le bon sens, avec la base contre le coté arrondi, sinon ça ne marche pas.

Pour les assiettes creuses, déjà, c’est plus compliqué : il faut s’assurer qu’il y ait une assiette plate, ou le mur, à l’extrémité, pour qu’elles puissent s’appuyer dessus, parce qu’elles ne se calent pas tout à fait dans la fente. Les verres peuvent se poser à l’envers sur l’égouttoir, mais ils tendent à sécher moins bien que sur une grille, en raison de la largeur des parties plates, qui retiennent l’eau. Les bols, on peut éventuellement les échelonner —les suivants, obliques, appuyés sur le premier— mais dans ce cas, on est obligé d’utiliser le centre de l’égouttoir, car sur les bords il n’y a pas de fente. Pas question, donc, de faire deux rangées, il faut réserver les côtés à de plus petits objets. Les casseroles ont tendance à se casser un peu la figure, à moins d’être tout bêtement à plat, faute de relief dans lequel se caler. Quant aux couverts, ils débordent faute de parapet, si on ne prend pas le temps de les insérer un par un bien droit dans les rainures.

Bref, c’est pas vraiment le Pérou, ce Boholmen. Avant lui, j’ai testé deux égouttoirs, tous les deux meilleurs. Pardon, j’en ai testé un autre vraiment, mais alors vraiment très nul quelque part. Sa nullité entière résidait dans un détail : il avait les barres de la grille dans l’autre sens ! Impossible de faire tenir une assiette debout ! Le designer voulait-il à tout prix être original ? N’avait-il jamais fait la vaisselle ?  La perplexité me ronge.

Mais revenons aux modèles sains d’esprit. Le dernier en date était un très classique pliable en métal, de ceux qui ont des plateaux obliques croisés en X. Plus versatile, on pouvait y égoutter efficacement à peu près n’importe quoi, assiette, cuiller en bois, ou figurine de Buzz l’éclair.


Mais celui que j’avais avant ça était encore meilleur. Non seulement il égouttait n’importe quoi, mais il était capable d’en égoutter des tonnes à la fois —la vaisselle qui traîne depuis 24 heures, mettons. Et il n’était pas plus grand, il était juste très bien fichu. Il avait deux étages: le premier était une grille large avec un rebord, idéal pour des objets grands ou deux rangées d’objets petits. La hauteur était suffisante pour une grande assiette, puis venait un deuxième étage, plus étroit, où tenaient parfaitement les verres et bols, plus les spatules couchées. Des bitonios sur les côtés permettaient d’accrocher des biberons ou autres menus objets. Et pour couronner le tout, on pouvait le suspendre, lui, l’égouttoir. Dans mon premier appartement je l’avais fixé avec quatre clous au mur au dessus de l’évier, il avait tenu parfaitement.


Le plus drôle, c’est qu’il n’était même pas prévu pour être spécifiquement un égouttoir à vaisselle. Ça pouvait aussi bien être une petite étagère. Vous savez ces machins en fer gainé qu’on trouve dans des formes diverses au rayon quincaillerie pour aménager les placards et les zones humbles de la maison ? C’était un de ceux-là, je l’avais trouvé abandonné dans l’appartement.

Bref, dans mon expérience et en matière d’égouttage, plus un objet est spécialisé, et moins il sert. Et j’ose penser que l’observation reste valide dans d’autres domaines. Il y a une raison toute bête à ça : si vous prévoyez un objet pour un usage très très précis, vous réduisez énormément le nombre d’occasions où il peut servir. Ça a un sens quand par la spécialisation vous permettez une opération qui n’est pas possible autrement : la douille à crème en étoile de 5 mm, par exemple. Mais quand la spécialisation consiste uniquement à réduire les usages possibles, —sécher seulement des assiettes, mais même pas mieux— il n’y a aucun bénéfice.

Et en marge des inconvénients pratiques, il y a des retombées plus générales. Puisqu’on pense tellement à l’écologie, maintenant : un objet qui est très réduit dans ses usages, c’est un objet qui est difficile à recycler —au sens de réutiliser, ou de continuer à utiliser. Changent les circonstances qui vous l’ont fait acheter, et il devient bon à jeter.

vendredi 18 février 2011

Crocodile

Dans ma première balade en bus dans Bordeaux, je suis restée bouche bée devant ce crocodile trônant au milieu des jardins de la mairie.


La première chose qui m'a frappée, c'est son originalité : on voit souvent des sculptures monumentales modernes dans les villes, et qui représentent même souvent des animaux, mais celle-ci avait quelque chose d'immédiatement différent.

Il y a une grande force, un mouvement très puissant et véritablement un peu effrayant dans ces mâchoires surdimensionnées qui jaillissent à la verticale. Et les dents, avec leur répartition inégale et séparée, dont on imagine le genre de travail qu'elles peuvent faire quand elles se referment. J'aime que la sculpture reproduise très fidèlement la forme et le mouvement réels de la gueule d'un crocodile : c'est un animal très impressionant en soi ; c'est peut-être celui qui moi me fait le plus frémir, parce qu'à la dangerosité du prédateur il ajoute l'impassibilité du reptile, ce regard vide d'animal-machine venu d'un règne où les mammifères et leurs sentiments n'étaient pas nés.

Après, il y a l'audace de le faire tout brillant, avec des plaques de miroirs aux couleurs presque disco. Mais je n'ai pas l'impression de me trouver devant ce contraste imbécile entre le sacré et le profane que tant de plasticiens prennent pour un message intéressant ; non, dans celui-ci je tombe, je le trouve très beau avec toutes ses facettes irisées, bleu, vert et rose profonds et lumineux à la fois, et j'ai le sentiment que c'était simplement comme ça qu'il fallait qu'il soit. Naturel, ç'aurait été impressionnant mais plutôt version expo dinosaures ; avec cet habillage clinquant et glacé, il est transcendé de son existence réelle d'animal capturable et mortel, il est déifié comme un Zeus ; et en même temps, s'il avait été fait à la mode "design", tout élégant en graphite ou en blanc, il aurait perdu : ce petit côté kitsch des couleurs est ce qui lui donne son âme.

Vérifications faites, l'oeuvre est signée Guillaume Renou, et elle a été commandée par la Mairie de Bordeaux en vue d'une exposition temporaire en été 2009. Il semble, à ce que je lis, que ni l'artiste ni les riverains n'ont pu se résoudre à la voir partir à la date prévue, et que c'est pourquoi elle est toujours là, bien qu'un conflit financier et légal se déroulerait entre les parties jusqu'à l'heure actuelle. Je ne sais pas si c'est à cause de ça, mais quand on la voit de plus près, elle est en assez mauvais état : quelques plaques sont absentes, et surtout il n'y a pas d'eau dans le bassin, de sorte qu'on voit la structure nue de la base, et une vilaine barrière encercle le périmètre. J'espère qu'elle restera et sera mise en valeur, je crois qu'elle a la carrure d'un monument à chérir.

jeudi 10 février 2011

Penderie

Les femmes sont toutes tellement belles et bien habillées, à Bordeaux, que je me demande pourquoi j'irais mettre autre chose que mon vieux jean.

dimanche 6 février 2011

Moderne

Si je me sens bien entre des bâtiments anciens, et mal parmi les constructions qui datent d'après la IIe Guerre Mondiale, est-ce uniquement une question de goût personnel, formé par une enfance passée dans le centre de Paris, ou y a-t-il quelque chose de plus objectif?

Je viens de passer deux journées dans le quartier de La Villette, à Paris, après une autre passée en promenade entre la Tour Eiffel et l'Opéra Garnier, et la sensation est puissamment physique: dans ces derniers, une sorte de relax et ouverture vers tout ce que j'avais autour, malgré le froid intense et la grisaille; dans les premiers, au contraire, mes yeux qui se durcissent, et un état nerveux et tendu, alors même que je me trouvais dans un espace conçu pour la détente. Santiago du Chili, ou j'ai vécu cinq ans, me produisait la même impression. Je soupirais souvent que ce qui me manquait le plus, c'était la beauté. Très sérieusement, c'est l'une des principales raisons de mon départ.

Il y a dans l'architecture urbaine qui s'est pratiquée dans le monde occidental jusque vers le milieu du XXe siècle une harmonie de base qui semble avoir perdu sa place dans celle qui a suivi. Prenez un exemple tout bête: les entrées. Une construction ancienne a toujours une entrée clairement reconnaissable; elle est inscrite dans la forme même de l'endroit, et vous vous y dirigez naturellement, avec la tranquillité que donne la sensation de comprendre votre place dans l'espace. Alors qu'un trait typique des constructions de ces dernières décennies est que l'entrée se fait par une sorte de trou qu'on ne distingue qu'une fois bien approché, une ouverture dont on n'est pas toujours très sûr qu'elle soit légitime.


Voici l'accès au métro depuis la Cité des Sciences. Sur toutes les vitrines il y a des panneaux géants qui disent "métro ligne 7, par là". Eh bien, j'avais encore du mal à y croire. Vraiment? Par là? Par ce soupirail, ou vous vouliez dire autre chose?

De la même façon, en sortant de la Géode avec mes enfants, nous avons voulu aller au parc. Nous avons avancé le long des bassins vers le terre-plein en haut duquel notre sens de l'orientation nous disait qu'il se trouvait. Un étroit escalier semblait le seul accès possible. En haut, il nous a fallu suivre un chemin marqué par un auvent parmi des baraques et des structures à la fonction obscure pour finalement nous convaincre que nous étions bien dans un parc public et pas dans les coulisses de quelque événement d'où l'on allait nous chasser.

Et dans le bâtiment même de la Cité des Sciences, où nous nous sommes réfugiés pour casser la croûte au chaud, à côté de détails plutôt agréables, comme les toilettes amples et bien conçues ou ce café à la décoration chaleureuse, il y a à mes yeux un "courant d'air" visuel permanent. C'est cette mode de la structure apparente, des grandes poutres métalliques et des gros tuyaux visibles, où les cloisons semblent de frêles ajouts derrière lesquels les petits humains ne pourront pas se cacher longtemps lorsque l'ogre propriétaire des lieux arrivera...


Subjectif ou pas, une chose est sûre: même si je dois payer beaucoup plus cher, je vivrai dans un quartier ancien et pas dans un moderne.

samedi 5 février 2011

Prologue (Quand tu aimes, il faut partir)

Pendant près de deux ans, j’ai écrit un blog en espagnol. Le principe était le même que pour celui que j’inaugure avec ces lignes: réflexions sur le design en général, commentaires sur des réalisations en particulier, dans tous les domaines de la conception, depuis l’architecture jusqu’au graphisme, en passant par la mode, les sytèmes, et, bien sûr, le design industriel, mon chouchou personnel. Il s’appelait Lola Guinda, un drôle de nom, en relation avec les cerises que j’avais eu le caprice de mettre en déco. Il a commencé à avoir pas mal de visites; je l’aimais beaucoup.

Mais la page se tourne: je vivais au Chili après un passage par l’Espagne; le monde hispanique, ces dernières années, était mon habitat, c’était logique de parler de ce que je voyais, aux gens qui le voyaient aussi. Maintenant, je redéménage: je viens de débarquer en France !

De retour dans le pays qui m’a vue naître, avec deux enfants qui n’y ont jamais mis le pied... Tout est à découvrir et à conquérir. Moi qui ai toujours aimé voir les choses avec le regard neuf de celui qui vient d’ailleurs, je n'aurai peut-être pas à regretter mon lointain hémisphère...

Nouvelle vie en France, nouveau blog en français. Puisse le dieu des sceptiques et des insatisfaits me laisser jouir d’une compagnie nombreuse et critique. Bienvenue.