jeudi 19 janvier 2012

Je suis amoureuse

La première fois que je l'ai vue, je m'en souviens comme si c'était hier. C'était un matin dans les embouteillages, à Santiago. J'étais au volant de ma Corsa, parmi les autres voitures toutes pareilles dans la grisaille immonde de l'avenue Vespucio. Et soudain, elle était devant moi. Avec son étrange couleur crème et son phare arrière tout rond et haut perché. Un galbe saisissant, une silhouette courte, rebondie, vive, parfaite. Je la suivis: il fallait que je sache au moins comment elle s'appelait...!

Alfa Romeo MiTo. Je n'aimais pas son nom, j'étais dépitée. Assise à mon ordinateur, une heure plus tard, devant un site de voitures où je n'avais jamais mis les pieds, je lisais le détail de ses spécifications. Une sportive. Un moteur puissant, un mode Dynamic pour faire de la vitesse. Moi mes tendances auraient dû m'incliner vers une Toyota Prius. Que dis-je: vers le TGV! Je n'aime pas les voitures! Je sais à peine conduire, je me suis installée en centre ville pour ne pas avoir de voiture. (Vous savez, les gens qui vous donnent des envies de meurtre, sur la route, parce qu'ils ne peuvent pas dépasser le 40? —c'était moi.) Bref, qu'est-ce que je faisais là, à perdre mon temps à m'intéresser à cet engin de course égocentrique et mal nommé?

La réponse était toute simple: elle était belle. Belle, belle, belle. Belle à désirer la revoir tous les jours. Belle à vous rendre heureux rien qu'à la regarder. Belle à en oublier toute raison. Je regardais les photos sur le site, et elles ne lui rendaient pas justice, elle était encore plus belle en vrai. Je la croise souvent maintenant que je vis en France, et l'émotion est toujours là...



Je sais ce que vous allez me dire: "Oui, elle n'est pas mal, mais moi je préfère...". Quand on parle de beauté, il y a deux choses différentes, en réalité.

Il y a une harmonie de forme, de couleur et d'autres caractères qui constitue une approche d'un canon esthétique relativement unanime. C'est l'une des fonctions de base d'un designer, celle que Raymond Loewy a baptisée l'esthétique industrielle, et qui lui a fait prendre des machines toutes disgracieuses pour les réarranger en une forme élégante et désirable.

Il y a une certaine universalité dans cette définition de la beauté: le Frigidaire et le paquet de Lucky Strike redessinés par lui ont eu un énorme succès, et je ne crois pas qu'il se trouve quelqu'un pour dire que les versions antérieures étaient mieux.


Mais il y a cette autre définition, qui n'est pas son opposée ni sa concurrente mais plutôt une sorte d'effet collatéral aléatoire de la première. C'est la beauté qui vous touche, vous, et pas votre voisin. C'est celle qui va jusqu'à l'individu en passant par le désir et l'amour. Ce n'est plus la beauté qui suscite le désir, mais la personne qui éprouve la beauté.

Souvent, cette définition de la beauté rejoint le première. Les choses unanimement belles suscitent plus facilement l'amour, c'est un fait. Souvent aussi, un objet séduit pour d'autres raisons: ses fonctions, son identité. Si les produits Apple ont des millions d'amoureux passionnés, c'est probablement parce qu'ils réunissent tout ça à la fois; ils sont en quelque sorte l'équivalent inanimé d'une star de cinéma qui serait à la fois ravissante, douée et premier rôle dans un grand film.

Mais il y a des choses qui nous séduisent par leur beauté, et bien que celle-ci parfois n'existe que dans nos yeux. C'est une attirance qui naît d'un ensemble de traits physiques, parce que ceux-ci évoquent en nous des traits de caractère correspondants, et qui nous touchent. Miroir de nous-même ou complément rêvé, coup de foudre ou attachement lent, cela se passe pour les choses comme pour les personnes. Cette autre définition de la beauté, on pourrait dire que c'est l'aspect esthétique de l'amour.

Un designer compétent n'éprouvera aucune difficulté à concevoir un produit beau selon la première définition, mais aucune recette ne lui garantit de faire un objet qui touche ainsi au cœur, ne serait-ce que d'un petit nombre de personnes. Puisque c'est si personnel, si subjectif, si inattendu...

Mais pour cela même, j'avancerais qu'il existe une recette inverse. Ne pas être personnel, dessiner non pas pour soi mais pour un portrait robot du consommateur attendu, c'est peut-être la garantie de ne pas toucher un jour un cœur qui bat. Entendons-nous bien, ce n'est pas du designer que le consommateur tombe amoureux, c'est bien d'un produit, qui lui dit des choses que le designer n'avait probablement pas imaginées. Mais si celui-ci y avait mis un peu de son âme, alors il n'a pas pu manquer d'y mettre une âme. Et l'âme, il n'y a pas vraiment d'autre filtre d'amour.

3 commentaires:

  1. comparto tu definición de belleza que no es sólo estética o armonía, también es la belleza que cada uno capta y vive a su manera, con su forma de ser. que bonito el post de hoy!

    RépondreSupprimer
  2. Gracias Julia. Sabes, creo que fue justamente tu blog, en parte, el que me inspiró para escribir sobre este tema. Porque muestras imágenes de una gran belleza, pero que con toda evidencia no fueron elegidas en función de canon abstracto, sino de un gusto muy personal. Recorriéndolo se tiene la sensación de entrar en un museo muy íntimo de las cosas que te hacen vibrar.

    RépondreSupprimer