vendredi 18 février 2011

Crocodile

Dans ma première balade en bus dans Bordeaux, je suis restée bouche bée devant ce crocodile trônant au milieu des jardins de la mairie.


La première chose qui m'a frappée, c'est son originalité : on voit souvent des sculptures monumentales modernes dans les villes, et qui représentent même souvent des animaux, mais celle-ci avait quelque chose d'immédiatement différent.

Il y a une grande force, un mouvement très puissant et véritablement un peu effrayant dans ces mâchoires surdimensionnées qui jaillissent à la verticale. Et les dents, avec leur répartition inégale et séparée, dont on imagine le genre de travail qu'elles peuvent faire quand elles se referment. J'aime que la sculpture reproduise très fidèlement la forme et le mouvement réels de la gueule d'un crocodile : c'est un animal très impressionant en soi ; c'est peut-être celui qui moi me fait le plus frémir, parce qu'à la dangerosité du prédateur il ajoute l'impassibilité du reptile, ce regard vide d'animal-machine venu d'un règne où les mammifères et leurs sentiments n'étaient pas nés.

Après, il y a l'audace de le faire tout brillant, avec des plaques de miroirs aux couleurs presque disco. Mais je n'ai pas l'impression de me trouver devant ce contraste imbécile entre le sacré et le profane que tant de plasticiens prennent pour un message intéressant ; non, dans celui-ci je tombe, je le trouve très beau avec toutes ses facettes irisées, bleu, vert et rose profonds et lumineux à la fois, et j'ai le sentiment que c'était simplement comme ça qu'il fallait qu'il soit. Naturel, ç'aurait été impressionnant mais plutôt version expo dinosaures ; avec cet habillage clinquant et glacé, il est transcendé de son existence réelle d'animal capturable et mortel, il est déifié comme un Zeus ; et en même temps, s'il avait été fait à la mode "design", tout élégant en graphite ou en blanc, il aurait perdu : ce petit côté kitsch des couleurs est ce qui lui donne son âme.

Vérifications faites, l'oeuvre est signée Guillaume Renou, et elle a été commandée par la Mairie de Bordeaux en vue d'une exposition temporaire en été 2009. Il semble, à ce que je lis, que ni l'artiste ni les riverains n'ont pu se résoudre à la voir partir à la date prévue, et que c'est pourquoi elle est toujours là, bien qu'un conflit financier et légal se déroulerait entre les parties jusqu'à l'heure actuelle. Je ne sais pas si c'est à cause de ça, mais quand on la voit de plus près, elle est en assez mauvais état : quelques plaques sont absentes, et surtout il n'y a pas d'eau dans le bassin, de sorte qu'on voit la structure nue de la base, et une vilaine barrière encercle le périmètre. J'espère qu'elle restera et sera mise en valeur, je crois qu'elle a la carrure d'un monument à chérir.

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