jeudi 15 décembre 2011

Monodose

Je pars dans quelques jours pour le Chili, et comme d'habitude, la partie la plus frustrante des bagages, c'est la trousse de toilette. J'ai bien mis mon shampooing et mon huile dans de petits flacons ad hoc, j'ai bien acheté un mini tube de dentifrice et récupéré un échantillon de crème pour les mains, mais il me reste encore douze dilemmes. Mon déodorant à billes, je l'emporte, avec la place qu'il prend, ou je m'en passe, au risque de le regretter? Et mon parfum, que j'adore mais qui occupe un hangar?

J'aurai peut-être une ou deux soirées habillées: est-ce que ça vaut le coup d'emmener ces fards que je ne mets pas au quotidien? Et puis, comment ma peau va réagir au climat, là-bas? J'aimerais prendre un éventail de produits, pour parer à tout, mais ça va trop me charger. Ça a l'air de petites choses, comme ça, mais avec leurs contours rigides et irréguliers, le volume monte très vite, et moi je trouve absolument mortifiant de correspondre au cliché de la nénette qui a trop de bagages.

Et d'un autre côté, si je ne prends que "l'essentiel", à tous les coups je vais me faire piéger. J'ai assez voyagé pour en tirer la leçon: l'essentiel, il est différent selon les circonstances. Et quant à compter sur les pharmacies du lieu pour remplir les trous, on ne m'y reprendra plus... 

Qu'est-ce que ce serait chouette, si je pouvais m'acheter tous ces produits, les usuels et les au cas où, en petits sachets monodoses! Quelque chose comme des échantillons, sauf qu'il y aurait de tout, et je n'aurais pas à faire des pieds et des mains pour qu'on m'en file, juste les choisir et les acheter, comme n'importe quel produit.


On dirait que ne suis pas la seule à avoir ce désir. Voici sur un forum une personne qui demande où acheter des échantillons de parfum, car, explique-t-elle, elle aime beaucoup en changer tous les jours. Et si vous regardez en bas, vous remarquerez qu'il existe des dizaines d'autres fils sur le même thème.

C'est l'autre grand motif de demande de monodoses: on veut pouvoir utiliser un produit juste une ou deux fois, pour le tester ou pour un caprice. Si souvent on se retrouve à acheter un produit en se fiant à son packaging, sa pub ou son parfum, et puis après il ne nous va pas, et il reste là en souffrance dans la salle de bain, on se force à le finir ou alors on le jette encore plein, en tout cas du gaspillage et pas du plaisir. Alors qu'il serait tellement plus agréable, pour le même prix, de repartir avec un éventail de choses à tester sans remords, et racheter, en grand ou en petit, au gré de notre envie...

Vous forcer à dépenser 5, 20 ou 50 euros dans un objet qui ensuite restera en votre possession, c'est vous coller sur les bras un engagement, si petit soit-il. Des monodoses à 50 cents ou 2 euros, ça s'apparente plus à la location, c'est garder sa liberté d'utiliser et puis de partir, et de revenir si vous voulez. Quant à la culture des échantillons, telle qu'elle se pratique à l'heure actuelle, avec sa sélection aléatoire et sa distribution à discrétion du vendeur, elle me rappelle plutôt les sinistres jeux d'influences des régimes totalitaires.

Il y a un troisième motif pour acheter de monodoses, c'est les fins de mois difficiles. Ça peut paraître paradoxal, puisque les petits formats sont toujours comparativement plus chers, mais c'est ce qui se passe, parce qu'en pratique c'est quand même salvateur.

Enfin, les monodoses permettent de se passer de conservateurs. Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à rejeter ces substances chimiques qui maintiennent les produits en état plusieurs mois après ouverture. Après les parabens, d'autres sont sur la sellette; les marques vont devoir trouver des solutions pour répondre à cette nouvelle exigence. Certaines offrent déjà des produits sans conservateurs en dosettes stériles, mais il faut encore acheter tout un paquet. Pourquoi ne pas faire d'une pierre deux coups?

D'aucuns s'étonneront peut-être qu'on vante les monodoses à l'heure où l'on prend conscience des méfaits du jetable. Alors regardons "l'image plus grande". Emporter mes monodoses en voyage au lieu de tous mes machins me ferait réduire le volume et le poids de mes bagages à transporter. Mais pensez surtout au volume de déchets épargné par rapport à tous ces produits qu'on a fini par jeter à moitié pleins. Les cosmétiques sont en pratique souvent monodose, mais dans des emballages de fous. Alors, autant les faire le plus anodins possibles: fioles de verre ou sachets papier doublé polyéthylène, ce sera une économie.

Financièrement, la monodose devrait être intéressante pour un fabricant. Le consommateur accepte un prix proportionnellement beaucoup plus élevé, comme on peut déjà le constater avec les formats voyage existants. Pour mon dessin, j'ai calculé les prix de la manière suivante:
  • Le shampooing familial de Melvita, prix normal 19,50€ les 1000ml, soit 19 cents pour 10ml. Je crois que je serais prête à le payer 50 cents pour l'essayer ou voyager tranquille, soit 264% plus cher.
  • Le masque purifiant de Caudalie, 17,90€ les 50ml, soit 1,79€ les 5ml: à 3€, 167% plus cher.
  • Le rouge à lèvres Couleur Caramel, 13,90€ le bâton de 3,5g, soit 39 cents les 100 mg: à 1€, 256% plus cher.
  • Le parfum Idylle de Guerlain, 107€ les 100ml, soit 2,14€ les 2ml: à 5€, 234% plus cher.

Une marge plus importante, donc. Mais je soupçonne par ailleurs que la possibilité d'acheter petit pourrait attirer de nouveaux consommateurs. C'est le principe de la marque de vêtements de luxe qui lance un parfum, produit proportionnellement abordable, pour toucher une clientèle nouvelle. Il y a des gens pour qui 20€ est un investissement trop risqué, mais qui vous testeront pour 2€, et, qui sait, pourraient revenir acheter la version grand format si votre produit les convainc vraiment.

Mais bien sûr, il faut convaincre. Et dans un monde où tous les cosmétiques seraient disponibles en monodoses, les pions se répartiraient autrement sur l'échiquier. À même de tester à leur guise, les consommateurs délaisseraient inévitablement les produits médiocres au profit des efficaces, les surévalués au profit des prix ajustés. Une opération publicitaire massive ne suffirait plus à faire vendre un produit en quantités rentables, si celui-ci n'était pas réellement satisfaisant derrière.

Les marques qui font plus reposer leur succès sur la force de leur communication que sur la qualité de leurs produits seront donc prévisiblement rétives à la monodose. Celles qui croient avoir un bon produit à un prix correct pourraient, au contraire, y voir un bon moyen de se faire connaître.

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